Etudiants du spectacle : cinq idées pour répéter gratuitement (ou presque)

(Club Photo Lyon2 via FLICKR)

Trouver des lieux de répétition est souvent la bête noire des étudiants du spectacle vivant. Jeunes danseurs, circassiens, musiciens ou comédiens, tous sont confrontés aux mêmes problématiques : comment répéter dans des conditions convenables lorsqu’on est entassé à cinq dans un petit studio ou que les voisins menacent d’alerter la maréchaussée à chaque mouvement d’archer un peu trop vigoureux ? De la même façon, préparer un spectacle ou un concert dans des conditions inconfortables ne prépare ni à la gestion de l’espace et du public ni à l’appréhension de l’acoustique.

L’Ecole du Spectacle a donc déniché cinq solutions pour que les artistes étudiants puissent répéter sans se ruiner.

Profitez de votre établissement

Que vous soyez une association étudiante ou tout simplement étudiant, des solutions existent pour répéter au sein de votre établissement. Si vous êtes à l’université ou en école, adressez-vous au Bureau de la vie étudiante (BVE) ou au Bureau des arts (BDA) pour réserver des locaux. En contactant les associations artistiques, il est généralement possible de bloquer des créneaux horaires pour répéter. Certains campus abritent également de véritables salles de spectacle (comme le théâtre Bernard-Marie-Koltès à l’Université de Nanterre ou le théâtre du Saulcy à l’Université de Lorraine). Idéal pour s’exercer in situ. Enfin, faites appel à la solidarité étudiante : n’hésitez pas à rejoindre des groupes dédiés sur les réseaux sociaux ou à poster sur la page de votre établissement pour partager vos bons plans. 

Faites appel aux mairies et aux associations de quartier

Si vous êtes une association loi 1901, il est possible d’entamer des démarches auprès de votre mairie pour obtenir l’accès à des salles de répétition. Des associations de quartier peuvent aussi vous prêter ou vous louer leurs locaux lorsqu’elles n’y sont pas présentes. A Paris, par exemple, la ville a mis en place la Maison des initiatives étudiantes, qui propose gracieusement des salles aux associations. Les locaux des Maisons des pratiques artistiques amateurs proposent des tarifs à partir de 2 euros l’heure. 

Pour motiver les élu.es à vous aider, proposez-leur un échange de visibilité en apposant leur logos sur vos supports de communication.

Recherchez des résidences de création

Vous voulez monter un spectacle et avez besoin d’une période continue de répétition ? De nombreux théâtres et espaces artistiques proposent ce qu’on appelle une résidence de création. Une immersion gratuite dans leurs locaux qui peut être suivi d’une « sortie de résidence », une présentation du projet aux professionnels et/ou au public. Pour postuler, il suffit de s’armer de patience et d’envoyer le dossier de création de votre projet aux lieux culturels situés dans votre région. N’hésitez pas à faire preuve d’audace et à demander directement un rendez-vous pour vous présenter et parler de votre projet.

Certains lieux sont spécialement dédiés aux résidences et proposent des tarifs raisonnables sur sélection de projets. Citons le Volapuk ou le 37e Parallèle à Tours, les studios de Virecourt aux alentours de Poitiers, la Pratique en région Centre-Val de Loire ou la Maison Maria Casarès en Charente.

Pensez au mécénat

Si vous êtes constitué en association loi 1901, vous pouvez faire appel au mécénat et demander à votre mécène de mettre à votre disposition des locaux. En échange de ce « mécénat en nature », vous pouvez, par exemple, proposer une représentation de votre spectacle ou un atelier de pratique artistique spécifique. Constituez un dossier présentant vos projets et les services artistiques que vous proposez et démarchez les entreprises autour de chez vous !

SPECIAL PARIS : quelques lieux alternatifs pour répéter à petits prix

Répéter dans la capitale peut s’avérer un véritable casse-tête pour le budget des étudiants du spectacle. Les salles de répétition classiques avoisinent en effet les 10 à 20 euros de l’heure et les espaces sont souvent saturés, sans parler de l’étroitesse des logements privés, peu propices à la répétition à domicile.

Voici une liste de lieux alternatifs qui proposent des tarifs plus abordables : La Villa Mais d’ici à Aubervilliers, le Théâtre de Verre dans le XIXe arrondissement, le Shakirail dans le XVIIIe, le Jardin d’Alice à Montreuil ou encore La Fontaine aux images à Aulnay-Sous-Bois.

Du côté du gratuit, le hall du Cent-quatre est mis à disposition des artistes, la coopérative La Génèrale propose des espaces de travail sur dossier avec possibilité de restitution publique, tandis que les occupants du Clos sauvage – espace d’activité autogéré à Aubervilliers – prêtent leur salle de travail aux jeunes artistes en échange d’une représentation.

Publicité

Quelles formations pour se préparer aux concours des écoles supérieures de théâtre ?

Etudiants de l’étbsa © Anne-Sophie Annese

La rentrée universitaire 2017 marque également le coup d’envoi de la préparation aux concours d’entrées des 13 écoles supérieures d’Art Dramatique (voir notre papier Tout savoir sur les écoles supérieures d’Art Dramatique). Habilitées à délivrer le  DNSPC (Diplôme National Supérieur Professionnel de Comédien), ces formations en trois années sont prisées par un nombre croissant de candidats.

En 2017, le Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris (CNSAD) en comptabilisait 1330 pour 30 places ou 430 pour 14 places à l’École supérieure de théâtre Bordeaux Aquitaine (l’éstba). Pour se préparer aux fameuses « scènes de concours » – ces trois minutes où le comédien en herbe doit révéler son potentiel artistique – plusieurs options sont possibles. D’un côté les cours publics dispensés dans les conservatoires municipaux, départementaux ou régionaux. De l’autre les cours privés et le « coaching » – des comédiens ou metteurs en scène qui proposent des cours particuliers pour des tarifs avoisinant en moyenne 30 à 40 euros de l’heure.

« Nous n’avons aucun à priori au moment du concours sur l’endroit où les candidats ont été préparés, explique Franck Manzoni directeur de l’éstba. Il est important que les candidats n’arrivent pas totalement vierges au moment du concours mais, davantage que d’avoir toutes les armes, il faut proposer quelque chose de singulier ». Une affirmation reprise par Serge Tranvouez, directeur de l’Ecole Supérieur d’Art Dramatique de Paris (ESAD) : « il faut être bien préparé pour être à l’aise sur le plateau et dans ses scènes mais ne pas chercher à être efficace, il faut tenter d’être soi-même. Certains candidats semblent parfois formatés. Or, ce qui nous intéresse, c’est de laisser entrevoir une fragilité ».

Les cours publics ont le vent en poupe 

A titre indicatif, l’Ecole du Spectacle a recueilli la liste des formations suivies par les candidats reçus au CNSAD et au à l’éstba en 2017 et à l’Ecole du Nord de Lille en 2016. Des données à « relativiser au regard du nombre de candidats présentés par chaque école » précise t-on au Conservatoire de Paris où 16 admis viennent du cours Florent sur une promotion de 30 élèves. Il faut dire que le célèbre cours privé a présenté 318 candidats. Un effectif colossal lorsqu’on sait que les conservatoires ne comptent généralement qu’une quinzaine d’élèves par cycles.

« Le niveau des conservatoires a considérablement monté ces dernières années en terme de préparation aux concours, constate le directeur de l’ESAD. Un avis partagé par l’Ecole Nationale Supérieure d’Arts et Techniques Théâtrales à Lyon où l’on précise que « la majorité des étudiants proviennent de conservatoires publics, de province ou d’arrondissement. ».

Vers l’égalité des chances 

Face à la concurrence, de plus en plus d’écoles supérieures ont mis en place des dispositifs d’égalité des chances (voir notre reportage « Repousser les limites » avec les jeunes comédiens de la classe égalité des chances de la MC93). Après l’Ecole de la Comédie de Saint-Etienne ou le Théâtre National Supérieur de Strasbourg, l’éstba ouvre une classe préparatoire. « Le concours est de plus en plus difficile, affirme Franck Manzoni.  Le niveau monte considérablement et certains jeunes gens arrivent un peu perdus. L’univers théâtral peut sembler très codé, restreint. Nous avons eu envie de donner leur place à des personnes qui n’ont pas les moyens financiers, géographiques de passer les concours ou tout simplement qui n’ont pas accès aux bonnes informations. » 

Pendant deux années, l’éstba va organiser des stages (inscriptions  jusqu’au 30 novembre) avant d’ouvrir une classe pour la rentrée 2019. Les frais des concours seront pris en charge par l’école. Car « passer les concours » coûte cher. « Près de 2 000 euros en comptant les déplacements, le logement et les frais d’inscription » estime Franck Manzoni. « Il y a une forme d’urgence à ce que les écoles accueillent des étudiants issus de milieux différents. Cela fait partie de notre mission, assène t-il. On ne peut pas faire vivre une institution qui soit un coffre-fort.» .

Dans les coulisses d’un concours d’entrée au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris

La salle d’audition Maurice Fleuret, prête à accueillir les candidats au concours d’entrée en troisième cycle (Agathe Charnet)

« – Je voudrais étudier ici, au Conservatoire de Paris, pendant deux ans, pour enfin arriver à lire correctement les notations des partitions contemporaines.

– Arrivé à un niveau tel que le vôtre, on est tout à fait en mesure d’être autodidacte. Avez-vous essayé de travailler seule à la compréhension de ces notations ? 

–  Seule ou avec des amis, j’ai essayé de déchiffrer mais ce n’est pas suffisant. J’ai besoin d’apprendre de façon plus précise. Je veux pouvoir tout jouer, le classique comme le contemporain ».

Face au jury attentif, une violoniste coréenne défend son projet avec âme, dans un français hésitant. Après avoir interprété durant une vingtaine de minutes des oeuvres de Pierre Boulez et Arnold Schoenberg, il s’agit en ce mercredi 20 septembre, de prouver qu’elle mérite sa place au sein du très sélectif troisième cycle du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP).

Un concours de « haut niveau »

Du 18 au 28 septembre 2017, une soixantaine de candidats sont auditionnés publiquement dans la vaste salle Maurice Fleuret du Conservatoire. L’élégance fragile des sonates de Debussy laisse place à des interprétations jazz sur des standards de la musique roumaine ou à la vivacité du chant lyrique contemporain, a capella. Qu’ils soient pianistes, chanteurs ou violonistes, issus de formations françaises ou internationales, tous ont pour but d’intégrer le Diplôme d’Artiste Interprète (DAI) ou de poursuivre leur cursus en doctorat d’interprète de la musique au Conservatoire. Au total, moins d’une vingtaine d’artistes seront retenus pour cette prestigieuse poursuite d’études.

« Nous sommes face à des musiciens de haut niveau, aussi bien dans la technique que dans l’interprétation, à quelques rares exceptions près, constate la présidente du jury, la compositrice de musique contemporaine Graciane Finzi, qui a enseigné plus de trente ans au CNSMDP. Cela va être un véritable casse-tête de les départager, à l’issue du concours ». 

Pour prétendre à une entrée en troisième cycle, les candidats doivent en effet attester d’un niveau master ou d’un diplôme de second cycle. A ce stade, ce n’est plus seulement leur savoir faire qui est minutieusement scruté par les membres du jury mais bel et bien leur virtuosité, l’évidence de leur présence scénique et la pertinence de leur projet d’études au Conservatoire.

Affirmer sa personnalité artistique 

Et la diversité des profils n’est pas sans simplifier la lourde tâche du jury. En une matinée, la salle Maurice Fleuret accueille un jeune artiste italien souhaitant soutenir une thèse sur la réhabilitation technique de la viole de gambe, une violoniste japonaise avide de s’immerger dans le répertoire contemporain occidental et Raphaël Jouan, violoncelliste de 23 ans issu du CNSMDP. 

« Si je suis reçu au DAI, mon souhait est de faire découvrir des sonates de compositeurs qui ont été oubliées du grand public. Comme celles de Joseph-Guy Ropartz [1864-1955 NDR], Louis Vierne [1870-1937] ou Alexandre Tansman [1897-1986], expose le jeune homme avec enthousiasme, à la sortie de son audition instrumentale.

Raphaël Jouan et son violoncelle, quelques minutes après son audition. (Agathe Charnet)

« Je ne suis pas du genre à m’angoisser des jours à l’avance, mais j’ai senti que j’étais assez tendu physiquement pendant mon passage », analyse t-il, un brin soucieux. Sans pour autant perdre de vue son objectif d’entrée en troisième cycle : « J’aimerais notamment établir un programme de concert, documenté et interactif, en duo avec une amie pianiste ». 

 Car, dans le cadre du DAI, les étudiants ont la possibilité de suivre des cours pour perfectionner leur pratique instrumentale mais aussi d’utiliser les ressources humaines comme matérielles du CNSMDP pour mener leur projet personnel. Collaborations avec l’Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique pour des enregistrements, consultation de fonds de partitions à la Médiathèque ou mise à disposition des salles de représentation, tout est mis en oeuvre pour affirmer au plus haut niveau la personnalité artistique de ces jeunes talents. 

Sonate de Louis Vierne, compositeur que Raphaël Jouan souhaite interpréter 

« Que je sois admis ou non, j’aimerais mener de front une vie de concertiste et de pédagogue dans le futur. Je suis passionné par la transmission, conclut avec enthousiasme Raphaël Jouan avant d’aller se concentrer pour préparer son oral de motivation, qui se déroulera cette fois-ci à huis clos. Un désir de partager son savoir et sa passion qui lui faudra, pour l’heure, communiquer à son jury. 

Concours d’entrée en troisième cycle, du 18 au 28 septembre (auditions publiques, entrée libre sans réservation) au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, 209 Avenue Jean Jaurès, 75019 Paris. 

Julie Bednarek, biologiste reconvertie dans les musiques actuelles : « Les formations d’Issoudun ont été une seconde chance ! »


 

« J’ai atterri dans la biologie un peu par hasard. Après un Bac S, je ne savais pas trop vers où m’orienter. Alors, j’ai suivi des études en biologie végétale – qui m’ont passionnée – et j’ai poursuivi jusqu’au doctorat, en physiologie et génétique moléculaires, tout en enseignant en parallèle. C’est en cherchant un contrat post-doctoral que j’ai compris que quelque chose clochait. »

Julie Bednarek a 33 ans. Dans son bureau, situé dans le troisième arrondissement de Paris, la chanteuse Christine and The Queens sourit sur un poster. Toute la semaine, Julie Bednarek passe des studios d’enregistrement aux salles de concert, conseille les artistes sur leurs productions et scrute Spotify ou Facebook à la recherche de nouveaux talents. Pourtant, il y a à peine trois ans, le quotidien de Julie Bednarek était à des années-lumière de celui d’une assistante de directeur artistique dans une boîte d’édition musicale et de production. La jeune femme partageait son temps entre les laboratoires, les salles de cours de l’Université Blaise Pascal à Clermont-Ferrand et « les champs et les serres, les mains dans la terre ».

« J’ai découvert que j’avais du flair »

« On me proposait des contrats post-doctoraux prestigieux, mais je me sentais incapable de les accepter, se souvient l’ancienne chercheuse. Je suis très intuitive, je me suis dit qu’il fallait que je prenne un peu de temps pour réfléchir, après des années la tête dans le guidon ». À cette époque, quand elle n’est pas dans son laboratoire, Julie Bednarek écume les salles de concert auvergnates. Elle accepte donc, au petit bonheur, la proposition d’amies de devenir barmaid puis programmatrice musicale dans un club clermontois. « Ca a été une révélation, il fallait anticiper ce que les gens allaient écouter, j’ai découvert que j’avais du flair ! On a eu quelques bons coups, on a programmé des groupes comme Feu! Chatterton, par exemple ». Julie Bednarek décide alors de faire ses adieux à la recherche et de se lancer dans l’aventure des musiques actuelles.

« Mes collègues étaient abasourdis. Je savais qu’en quittant la recherche, je ne pourrai plus jamais y revenir. Mais, pour la première fois, j’ai eu la sensation de faire un choix dans ma vie. »

Six mois pour tout apprendre aux formations d’Issoudun

Hors de question pour autant de se lancer dans l’aventure sans suivre un cursus professionnalisant. On recommande à Julie Bednarek les formations d’Issoudun, un « centre de formation professionnelle aux métiers des musiques actuelles », une référence dans le milieu. « Je savais que c’était extrêmement sélectif – près de 250 candidatures pour 20 places –, affirme-t-elle. Et que j’étais un OVNI total : hyperdiplômée et chercheuse en biologie. Mais j’ai fait preuve de détermination : j’ai été recommandée par des professionnels à Clermont-Ferrand, j’ai décroché une promesse de stage et j’ai été acceptée ! »

Durant six mois, financée par Pôle-Emploi, la biologiste en reconversion suit donc un cursus Assistant(e) de production des musiques actuelles, à Issoudun, en Centre-Val de Loire. Cinq jours par semaine, de 8h30 à 18h, elle retrouve les bancs de l’école et étudie sans relâche. « Avec la thèse, je pensais que j’avais une grosse capacité de travail, mais je n’étais pas du tout prête à ce qui m’attendait », s’amuse la trentenaire.

A Issoudun, les étudiants de sa promotion, âgés de 23 à 40 ans, sont mis au contact d’intervenants professionnels. Julie Bednarek découvre le secteur de l’édition musicale et de la direction artistique. « Une nouvelle révélation ». Après un stage au sein de la société d’édition musicale Warner/Chappell, elle est désormais embauchée en contrat à durée indéterminée chez REMARK, société fondée par Marc Lumbroso, éditeur et producteur qui a notamment collaboré avec Jean-Jacques Goldman, Raphaël ou Vanessa Paradis.

« La recherche m’aide encore aujourd’hui »

Aujourd’hui, Julie Bednarek ne regrette absolument pas sa reconversion. Passionnée par son métier, elle «touche à tout » de l’accompagnement des artistes dans leur carrière, à la détection de l’émergence musicale en passant par l’analyse artistique du travail des créateurs. « J’apprécie énormément le contact humain, que je ne trouvais pas toujours dans mon activité de chercheuse, analyse-t-elle. En revanche, la recherche m’aide encore aujourd’hui lorsqu’il s’agit d’écouter son instinct, d’aller là où ne s’y attend pas ou de sortir des sentiers battus ». Si la biologie lui manque « souvent », Julie Bednarek a la sensation d’avoir pris un virage décisif, au bon moment.

« L’industrie musicale et la crise du disque ne m’ont jamais fait peur. Je viens d’un milieu qui est tellement en difficulté depuis ces cinq dernières années – notamment au niveau des financements internationaux – que je me disais que, dans la musique, je trouverai toujours un job !

Quand j’ai été acceptée aux formations d’Issoudun, j’ai eu la sensation de voir la lumière au bout du tunnel. On m’a offert une seconde chance et je l’ai saisie. A fond. »

Au Conservatoire, les musiciens-ingénieurs du son inventent l’écoute de demain

Suspendu au plafond, au-dessus du piano à queue, un imposant enchevêtrement de fils dans lesquels sont disséminés des micros, à la façon d’insectes dans une toile d’araignée. Au centre de cet insolite magma aérien, on débusque une tête en plastique coiffée d’un casque.

Un arbre de microphones monté par les étudiants du CNSMDP (Photo : Aude Pétiard)
Au CNSMDP, les futurs ingénieurs du son apprennent à travailler la matière sonore ( Photo : Gauthier Simon)

Durant trois jours, en ce mois de mai 2017, les musiciens-ingénieurs du son en troisième année au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP) se sont livrés à une session d’expérimentations visuelles et sonores. À partir du travail d’improvisation de musiciens jazz et d’une danseuse, les étudiants cherchent à faire voyager leur futur auditeur au cœur du son, au plus près des modulations des instruments. S’il est déjà possible de se promener virtuellement à 360° dans une vidéo, c’est à un véritable itinéraire auditif auquel s’attaquent les futurs professionnels.

Le son à 360°
Dans un studio improvisé, adjacent à la salle d’enregistrement, Noé Faure, 24 ans s’affaire derrière l’écran d’un ordinateur.

À l’aide de deux logiciels expérimentaux, l’un développé par les équipes du service audiovisuel du conservatoire, l’autre prêté par L’Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique (IRCAM), son équipe est chargée de « spatialiser » le son, pour obtenir un effet dit « binaural ». L’oreille de l’auditeur est stimulée de façon à ce qu’il ait la sensation de déambuler parmi les instruments pendant que la caméra se déplace. Autre technologie de pointe utilisée par les étudiants du CNSMDP, un prototype de « micro du futur ». Une drôle de boule à facette dotée de 32 micro-capsules qui balaient le champ sonore, à 360 degrés.

Un prototype de micro du futur, doté de 32 microcapsules suspendu à l’arbre de micros (Photo : Aude Pétiard)

« On cherche à modifier la matière sonore, s’enthousiasme Noé. C’est un travail sur le son qui est encore peu exploré ». Le jeune homme, qui a choisi l’option « création » pour achever sa formation au CNSMDP, tient néanmoins à temporiser la place des nouvelles technologies dans son futur métier. « Même si c’est passionnant, il faut éviter de se retrouver piégé par les outils, explique t-il. Ce qui compte c’est le résultat final : le son. Peu importe la manière dont il a été enregistré ». 

Un métier en pleine mutation
Former des « artistes et des artisans de pointe », telle est la vocation de Denis Vautrin responsable du diplôme musicien-ingénieur du son au CNSMDP. Il faut dire que le métier d’ingénieur du son est en pleine mutation face aux révolutions numériques et technologiques. « Quand le département a été créé, il y a vingt-cinq ans, tous les diplômés travaillaient pour l’industrie du disque, rappelle Denis Vautrin. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 40% à se diriger vers le studio. 40% s’orientent vers le spectacle vivant et 20% vivent du droit d’auteur pour des compositions ou des arrangements. »

Les futurs directeurs du son se doivent aussi de maîtriser la prise de vidéo (Photo : Marion Bénet)

L’industrie musicale en pleine recomposition, la complexification des technologies d’enregistrement et la diversification des supports font de l’ingénieur du son un professionnel aussi polyvalent qu’autonome, appelé à réinventer en permanence son savoir. Pour s’adapter à ces mutations inhérentes à la profession, Denis Vautrin et son équipe considèrent leurs étudiants comme des « inventeurs de leur métier ». 

 « Nous associons les élèves à la maquette pédagogiques. Nous leur donnons un maximum d’outils pour qu’ils puissent trouver leur identité » explique t-il. Car les étudiants du CNSMDP sont « des artistes avant tout : le numérique dans l’art permet de toucher des gens, de créer de l’impact, mais le plus important, c’est d’avoir quelque chose à raconter ».

Place aux femmes !
Recrutés sur concours à Bac+2 et diplômés à un niveau master, les futurs maîtres du son ont une double formation de musicien et de scientifique. Pour entrer au CNSMDP, Marion Bénet, 22 ans est passée par une classe préparatoire à horaires aménagés qui lui a permis d’alterner cours de flûte traversière et révisions mathématiques. « Un ingénieur du son, c’est quelqu’un qui cuisine le son » s’exclame la jeune femme qui souhaite se diriger vers l’enregistrement de concerts classiques à l’issue des quatre années de formation au CNSMDP.

Le saxophoniste Vincent Lê Quang et Aude Pétiard, étudiante en 3ème année au CNSMDP, lors de l’atelier d’enregistrement (Photo : Gauthier Simon)

Si elles se positionnent de plus en plus à des postes prestigieux, les femmes sont encore loin d’être majoritaires dans cette profession qui a longtemps été réputée comme « masculine ». « Lors d’un stage dans un festival, le régisseur général m’appelait « la fille ». A la fin, il m’a félicité : «  Pour une fille, tu te débrouilles bien ». Sur le coup, je ne savais pas comment réagir » confie Aude Pétiard, 22 ans, la seconde fille de la promotion.

Depuis, Aude Pétiard a appris à ne pas se laisser faire. « Il n’y a pas de raison que nous soyons considérées différemment que les hommes, affirme celle qui souhaite faire de la création sonore pour le cirque. Il ne faut pas tenir compte des remarques, et suivre son envie ! »

Aboubacar, réfugié guinéen, 17 ans : l’intégration par le théâtre

(Photo : Emilia Stéfani-Law)

« Je suis fier de raconter mon histoire sur scène. Le monde entier doit savoir comment les jeunes africains quittent leur pays pour venir en Europe ». Aboubacar Touré n’a que dix-sept ans mais sa jeune existence est déjà parsemée d’embûches et d’obstacles, de courage et de ténacité. L’adolescent guinéen, en France depuis plus d’un an et demi, a traversé comme tant d’autres la Méditerranée, à la recherche d’un avenir meilleur.

Sa folle épopée, Aboubacar la raconte avec pudeur sur les scènes lilloises, dans le cadre du projet théâtral « 2017 comme possible » mené par le metteur en scène Didier Ruiz à Lille, au mois d’avril dernier (voir notre article A la veille de la présidentielle, la jeunesse en scène au Théâtre du Nord). Aux côtés de quinze jeunes âgés de 16 à 22 ans, Aboubacar témoigne de ce que signifient pour lui la jeunesse, l’amour, la peur ou la liberté.

« Je suis libre. Libre de faire ce que veux, lance t-il au public. Je suis un homme libre. »

Aboubacar Touré (au centre) en répétition (Emilia Stéfani Law)

« La France qui accueille, la France qui est sympa »

Aboubacar n’était jamais monté sur les planches avant d’auditionner pour Didier Ruiz. Ce sont des amis français qui ont conseillé au jeune réfugié de tenter sa chance. « Quand j’en ai entendu parler, je me suis dit : « il me faut ça », se souvient le jeune homme, désormais inscrit en classe de première dans un lycée lillois.

« Le premier jour j’étais triste, je me méfiais beaucoup des autres. J’avais peur de la différence de nos cultures. Mais au fil du temps, nous avons appris à nous connaître, nous sommes devenus amis. Cela m’a montré comment me comporter ici, comment oser devant les gens. Ce projet de théâtre est une leçon pour m’adapter à un autre système

Sur scène, Aboubacar, qui est également musicien, chante, a capella. Et conte à la troisième personne, l’histoire « du petit » chassé de la maison familiale, à Conakry, capitale guinéenne. Sa périlleuse traversée des frontières vers le France, de Gao à Bamako, du Maroc à l’Espagne.

Seul sur le devant de la scène, campé sur ses deux jambes sous les projecteurs Aboubacar explique avec calme et assurance « comment les gens bougent pour l’Europe ». Sa voix ne tremble pas mais son visage s’anime lorsqu’il évoque sa découverte de la France et la sensation d’avoir enfin trouvé un refuge. Sur une feuille de papier qu’il présente au public, il a dessiné la tour Eiffel qui tend les bras « comme une maman », dit-il. « La France qui accueille, la France qui est sympa », psalmodie-t-il avec dextérité. En France, « le petit » s’est enfin senti « chez lui ».  

Le futur d’Aboubacar Traoré se dessine à présent dans l’hexagone et l’adolescent ne cache pas ses ambitions. « Je veux être un homme connu, sourit-il au sortir d’une répétition. Je veux partager mon histoire. Les gens se sacrifient pour traverser la Méditerranée, beaucoup ont perdu leur vie…. »

Et de répéter sur scène comme dans la vie ce qui semble être devenu sa doctrine, comme une ode au courage :

« persister, avoir confiance en soi, ne jamais se laisser faire. Persister pour aller loin, viser son avenir ».

A la veille de la présidentielle, la jeunesse en scène au Théâtre du Nord

La troupe de « 2017 comme possible » ©Emilia Stéfani-Law

« J’ai peur de l’avenir et en même temps c’est beau »

« Rihanna est une personne qui a beaucoup compté dans ma vie, dans ma vie personnelle »

« Mon premier chagrin d’amour, c’est comme si tous mes organes faisaient un nœud, comme si tout se serrait en moi ».

Ils s’appellent Toinon, Maxime, Aboubacar, Léna ou Nazif. Ils sont lycéens ou étudiants à Lille et sa région. Et, les voici, debouts sur la grande scène du Théâtre du Nord, s’exerçant à rester ancrés sur leurs deux pieds, à projeter leurs voix pour dire le spectacle qu’ils ont construit et créé ensemble. Âgés de 16 à 22 ans, ces seize jeunes ont cherché à répondre à la question : « C’est quoi être adolescent, aujourd’hui ?». Leurs jeunes vies, leurs premiers grands choix, les drames qui déjà les secouent et les transformations de leurs corps en devenir comme autant de terrains d’introspection et d’improvisation.

« 2017 comme possible » c’est ainsi que s’intitule le spectacle que la troupe amateure présentera au Théâtre du Nord, au Grand Bleu et à la Maison Folie de Wazemmes, à partir du 24 avril prochain. Depuis le mois de novembre, les comédiens en herbe sont dirigés par le metteur en scène Didier Ruiz, qui mène depuis quatre ans des projets similaires dans toute la France.

« Je leur propose de se confronter à un travail dur, un travail où il faut accepter de se perdre comme de se trouver, explique Didier Ruiz. « Ce qui se passe ensuite est inimaginable, ils sont tellement beaux. Ça brille tellement en eux. Au fond, je ne fais que ça : passer un grand coup de chiffon pour que ça brille ! ».

©Emilia Stéfani-Law

« Avant de commencer ce projet, je ne me connaissais pas. J’ai appris à me confronter à mes pensées, à mes peurs. C’est comme un grand voyage » raconte Alexandre, 18 ans

Pour son « portrait musical », Alexandre a choisi de faire écouter aux spectateurs la chanson « Boys in the street » de Greg Holden. L’histoire d’un père qui ne supporte pas que son fils embrasse des garçons dans la rue. « La première fois que j’ai joué mon portrait musical devant les autres, c’était les chutes du Niagara, sourit doucement Alexandre. Tout le monde a pleuré. Ça m‘a beaucoup touché, que tous aient de la compassion pour mon histoire ».

Afin de construire leur spectacle, les adolescents ont répondu en improvisation à des questions posées par Didier Ruiz comme « Qu’est-ce que la jeunesse pour toi ? », « De quoi as-tu peur ? », « Quel est ton rêve ?». Un travail physique, mené par Toméo Vergés, leur permet « d’exprimer tout ce qui n’a pas été dit », précise le chorégraphe espagnol. Sur scène, les réponses s’enchaînent de façon chorale, aussi spontanées que fulgurantes.

« Je ne suis sûre de rien sauf d’une chose : un jour, je veux être maman »

« Sarkozy a dit que l’homme noir n’était pas entré dans l’histoire. Ce qu’il a dit, ce n’est pas normal. Je vais vous faire écouter une chanson d’Alpha Blondy qui parle de ça »

« Je ne comprends pas grand chose à la sexualité. La sexualité c’est quelque chose de trop, et moi, je ne suis pas assez »

©Emilia Stéfani-Law

 « J’avais beaucoup de clichés sur la jeunesse, à cause de ce qu’on nous montre, confie Victor, 23 ans, au sortir de la répétition. Une jeunesse qui s’abrutit devant la télé-réalité, qui ne réfléchit plus. Et en fait non, c’est pas du tout ça ! Toute cette diversité, toutes ces différences entre nous, c’est une immense richesse. La diversité c’est un cadeau, pas un poison ».

Au Théâtre du Nord, la représentation de « 2017 comme possible » aura lieu le lendemain du premier tour des élections présidentielles. Certains voteront pour la première fois. « J’y ai pensé, aux élections, dit Maxime, 21 ans, étudiant en Arts de la scène à l’Université de Lille. Nous parlons de la jeunesse, de notre relation au monde, et ça a évidemment un rapport avec la politique. J’irai voter dimanche, je considère que c’est un devoir. » Victor aussi prendra le chemin des urnes : 

« Pendant la répétition d’aujourd’hui, j’ai eu un flash. Il y a une réplique où on dit qu’on est « pas dans la merde ».  Avant je pensais à Trump pendant cette réplique, mais maintenant, on peut s’attendre au pire.

Mais, si la politique ne nous sauve pas, il y a aura toujours le théâtre ».

« 2017 comme possible », au Théâtre du Nord le 24 avril à 20h, au Grand Bleu le 26 avril à 19h, à la Maison Folie Wazemmes, le 28 avril à 20h. 

Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique : l’éducation citoyenne en chantant

 

Sarah Koné dirige les élèves de la Maîtrise (Crédit : Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique)

Sous le buste de Marianne, une cinquantaine d’adolescents reprend a capella « Happy » de Pharrell Williams et « Back to Black » d’Amy Winehouse. Comme tous les lundis soirs, ils ont troqué leurs cahiers et leurs manuels scolaires contre des partitions et explorent ensemble un répertoire allant des classiques de la comédie musicale aux standards du moment.

« Pour entrer dans la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique, il ne faut pas être issu d’une filière voix ou d’une autre maîtrise, explique Sarah Koné, directrice artistique et cheffe de chœur. Lors des auditions, nous ne regardons pas le dossier scolaire de l’élève. Seule la motivation compte ». Créer une formation d’excellence, consacrée aux arts de la scène lyrique et ouverte à tous, sans pré-requis ni frais de scolarité, tel est le projet que mène depuis huit ans, Sarah Koné.

« Avec le chant, ce qui est déterminant c’est l’investissement, explique la chanteuse soprano. On peut commencer à 14 ou 15 ans et rattraper le temps ».

Éducation populaire et citoyenne
Tout a commencé par un simple atelier de chant au collège François Couperin, dans le quatrième arrondissement de Paris, en 2008. Sarah Koné, qui achève sa formation en direction d’orchestre au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, choisit d’y mener son projet personnel de fin d’études. Au cœur de sa démarche, déjà, l’idée d’une éducation populaire à la musique et aux arts de la scène.

« Cet engagement est très lié à mon histoire personnelle, confie Sarah Koné. Je suis une femme dans la direction d’orchestre, ce qui est encore trop rare, et je suis métisse. C’est une réponse au métissage et à la double-culture qui m’a portée. J’ai eu beaucoup de chance et j’ai eu envie de transmettre à mon tour. » 

Les ateliers de Sarah Koné au collège François Couperin rencontrent un franc succès et, au fil des années, la scolarité des jeunes chanteurs est aménagée autour de la formation musicale.

Crédit : Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique

En mai 2016, le projet de Sarah Koné prend un nouvel envol : les « Classes Chantantes » reçoivent le label de « Maîtrise populaire de l’Opéra Comique ». Intégrée à l’Opéra Comique, la Maîtrise a ainsi pu élargir son recrutement et rassemble des élèves issus de trois académies. « Il y a une vraie mixité, affirme Sarah Koné. Le but n’était pas de créer une « maîtrise-guetto » mais de travailler le vivre ensemble par la musique. Par-delà la formation artistique, c’est une éducation citoyenne ».

Méthodes pédagogiques innovantes
Aujourd’hui, une soixantaine d’élèves de la sixième à la terminale, reçoit sept heures d’enseignement artistique aménagées sur leur temps de scolarité. Chant, danse, théâtre et claquettes sont au programme. Un cycle supérieur a été créé pour accueillir des élèves âgés de 18 à 25. Certains se dirigent ensuite vers des carrières dans le monde du spectacle. Sarah Koné suit avec une grande attention la réussite de ses élèves et « assiste à chaque conseil de classe »: le chant faisant parfois office de rempart contre le décrochage scolaire.

Crédit : Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique

Sarah Koné et son équipe de professeurs s’appuient sur des méthodes pédagogiques innovantes pour enseigner la musique à leurs élèves, qui arrivent grands débutants. La méthode du suisse Émile Jaques-Dalcroze, axée sur le corps et le mouvement, leur permet ainsi « de lire la musique en trois mois ».

À la fin de l’année les étudiants présenteront la comédie musicale Annie sur la scène nouvellement rénovée de l’Opéra Comique.

« Je souhaite tisser deux cultures, défend Sarah Koné. La culture populaire et la culture musicale. Que l’on déchiffre un livret d’opéra ou une comédie musicale, ce sont les mêmes outils que l’on apprend à maîtriser. Oui c’est populaire, et j’y tiens ! »

À l’École de danse de l’Opéra de Paris, les petits rats « traversent les frontières »

Au répertoire du spectacle de l’Ecole de danse, The Vertiginous Thrill of Exactitude de Forsythe (©Francette Levieux OnP)

Ils se pressent en rang serré, à l’entrée des artistes du Palais Garnier. Les cheveux des adolescentes sont ramenés en chignons serrés, recouverts d’un filet, leurs jambes fines sont chaussées de confortables baskets. Sous les vestes en jean des uns et les sweats à capuches des autres, on aperçoit l’élégance d’un justaucorps. Une boite de « pansements ultra-confort » dépasse d’un sac à dos d’écolier.

En ce mois d’avril, les petits rats sont de retour à l’Opéra national de Paris pour leur spectacle annuel. Ces enfants et adolescents, dont la scolarité est rythmée par la danse, fêtent en 2017 les 40 ans des spectacles et les 30 ans de l’installation de l’école de danse de l’Opéra à Nanterre. Cette année, un programme particulièrement exigeant les attend, au croisement des cultures et des répertoires : Divertimiento No. 15 du russe George Balanchine (1956), The Vertiginous Thrill of Exactitude de l’américain William Forsythe (1996) et l’acte III de Raymonda de Rudolf Noureev (créé pour l’Opéra de Paris en 1983).

Parmi les cinquante élèves français présents à Garnier ce 3 avril, de jeunes danseurs américains, allemands ou danois. Car l’Opéra de Paris organise également « Le Gala des écoles de danse du XXIe siècle » : 29 élèves invités issus de 7 établissements à travers le monde viennent passer une semaine à Nanterre et danser un spectacle à l’Opéra. Ils viennent des plus prestigieuses écoles : The Royal Danish Ballet School au Danemark, The San Francisco Ballet School aux Etats-Unis ou l’Académie Vaganova en Russie.

« Cette année, c’est vraiment la traversée des frontières dans tous les sens du terme, explique Marius Rubio, élève à l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris.

Aussi bien sur le plan artistique – on fait un grand pas en avant dans notre apprentissage – que par ces rencontres avec des élèves du monde entier ».

Les jeunes danseuses de l’Ecole de danse interprètent le Divertimento No. 15 de Balanchine (©Francette Levieux OnP)

Une ouverture à de nouveaux horizons qui nous donne l’occasion de nous entretenir avec deux petits rats. Marius Rubio, 15 ans, et Maya Candeloro, 14 ans, nous parlent des événements exceptionnels qui font, cette année, l’ordinaire de leurs adolescences.

Dans quelques heures, vous danserez sur la scène de l’Opéra Garnier… Vous avez le trac ?

MARIUS : Avec le temps, on apprend à gérer le stress, on prend de l’assurance. Du coup, on essaye de vivre pleinement la représentation du soir, pour pouvoir prendre du plaisir et sourire. C’est très important de sourire ! Même si on rate !

MAYA : C’est pareil, je me dis que, quoi qu’il arrive, je dois essayer de m’amuser ! Si je me laisse envahir par le stress, je fais tout de suite des erreurs.

Comment arrivez-vous à gérer la danse et votre scolarité ?

MAYA : Le matin on a cours et l’après-midi, on danse de 13h30 à 18h30. C’est un rythme qu’on prend et dont on ne peut plus se passer. Vous savez, le matin on est des élèves normaux (elle rit). Les filles n’ont pas de chignon de danse, ni rien !

Cette année, je passe le brevet et c’est en même temps que notre examen de fin d’année [ qui décide si les élèves sont autorisés ou non à rester à l’Ecole de danse, ndr ]. Il va falloir rester très concentrés.

Vous vivez une jeunesse hors du commun. Comment la décririez-vous ?

MAYA : Contrairement à d’autres jeunes de notre âge, on a la chance de savoir ce qu’on veut faire plus tard, on a un but très précis. On apprend déjà un métier et on veut se nourrir le plus possible, pour aller vers notre rêve.

Je n’ai peut-être pas eu une enfance comme tout le monde, mais je crois que j’ai une enfance chanceuse, oui c’est ça, une enfance chanceuse. Vous savez, c’est magique d’être ici, à l’Opéra de Paris.

MARIUS : Quand je me sens triste, ou découragé, j’essaie de m’imaginer que je ne suis plus à l’école, que je ne vis plus tous ces moments incroyables… Et je retrouve la motivation ! Pour moi, c’est une leçon de vie d’être ici, c’est un honneur et c’est une joie.

Vous rencontrez actuellement des étudiants venus d’autres pays, c’est important pour un artiste de s’ouvrir au monde ?

MARIUS : Oui, très. Cette semaine, on a cours avec les élèves des autres écoles. On découvre leurs univers, ils s’initient à nos traditions, on apprend à se connaître. À l’école de danse, on est un peu dans une bulle, un monde fermé. Les échanges artistiques permettent de développer l’art, de l’enrichir. 

Cet été, je pars faire un stage de danse de trois semaines à Huston, aux Etats-Unis, pour découvrir de nouveaux codes, m’immerger dans un monde que je ne connais pas. Et parler anglais aussi !

Que ressentez-vous, lorsque vous dansez ?

MAYA : Quand je danse ? Quand je danse, j’oublie tous mes problèmes, je me sens heureuse, je me sens libre…

MARIUS : En ce moment, je prends de plus en plus de plaisir à être sur scène, à vivre chaque cours. J’ai l’impression de beaucoup progresser, je commence à pouvoir être un danseur.

On vit l’instant présent, on sourit et on y va.

MAYA : Et on n’a pas envie que ça s’arrête.

L’acte III du ballet Raymonda cloture le Spectacle annuel de l’Ecole (©Francette Levieux OnP)

A quoi rêvent les jeunes chefs d’orchestre ?

Cours de direction d’orchestre au Conservatoire de Paris sous la direction d’Alain Altinoglu (Photo : Ferrante Ferranti – CNSMDP)

« Attention à ta levée de poignet ! Montre davantage à l’orchestre ce que tu veux, sois plus précis ! ».

« Jordan, chante avec l’orchestre !

Il faut que tu chantes avec eux »

Les yeux d’Alain Altinoglu, chef d’orchestre et enseignant au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSM) sont rivés sur les poignets de Jordan Gudefin. D’une impulsion du bras droit ou d’un tressaillement de la main gauche, l’apprenti chef d’orchestre, baskets jaunes au pieds et chemise sombre, conduit l’interprétation de la Tragédie de Salomé, de Florent Schmitt, par une vingtaine de jeunes musiciens.

Au moins une fois par mois, les élèves de la classe de direction d’orchestre d’Alain Altinoglu s’exercent in situ, et découvrent une oeuvre du répertoire. Pour la Tragédie de Salomé, ils ont trois jours et demi de répétitions avant de se produire en public. Un temps de travail relativement long pour ces étudiants, qui viennent de France, de Russie et de Biélorussie. Les professionnels ont souvent deux jours pour se mettre au diapason avec un orchestre inconnu.

Dans la salle de concert du CNSM, la concentration est intense. Les six futurs maestros, assis sur les gradins, déchiffrent à voix haute les partitions et s’exercent inlassablement, brandissant leurs baguettes. Durant une vingtaine de minutes, ils vont se retrouver seuls face à l’orchestre des lauréats du Conservatoire, maitres du temps et de l’espace musical.

C’est l’une des dernières fois où Jordan Gudefin, originaire de Bourgogne, dirige en tant qu’élève. Dans quelques mois, il achèvera sa cinquième année au CNSM et sera propulsé dans le monde professionnel. A quoi rêvent les jeunes chefs d’orchestre ? C’est la question qui a conduit, en filigrane, notre entretien avec Jordan Gudefin. 

Jordan Gudefin, 28 ans 

Jordan Gudefin, étudiant au CNSM (Anne Bied Photographie)

J’ai passé le concours du CNSM [environ une quarantaine de candidats chaque année, pour une à trois places ndr] alors que j’étais en percussions au conservatoire de Strasbourg. Je me suis dis que si je l’avais, je serais chef d’orchestre, sinon je ferais autre chose. Cet état d’esprit correspond bien à ma personnalité. 

Au dernier tour du concours, on se retrouve face à un orchestre. J’avais alors très peu d’expérience de direction. Je ne saurai pas trop dire ce que j’ai fait, mais je crois que quelque chose s’est passé, puisque ça a marché !

Diriger

Durant ma scolarité au CNSM, j’ai beaucoup réfléchi au métier que j’apprends et à la façon de l’apprendre. Etre chef d’orchestre, ce n’est surtout pas être un dictateur. C’est être le gardien de l’homogénéité. C’est être capable de s’intégrer dans une vie de groupe, avec ses difficulté et ses atouts, pour amener les gens à être ensemble. Je n’aime pas trop ce mot de « chef » que nous utilisons en français. En italien ou en anglais on dit, littéralement, un « conducteur ». 

Lorsque vous levez un bras et que tout l’orchestre se met à jouer, c’est grisant, ce sont des sensations corporelles impressionnantes. En ce moment je ne travaille pas avec une baguette. Vous savez, si on utilise une baguette, c’est parce que les musiciens de l’orchestre nous voient de loin. La baguette permet un prolongement, une amplification du geste.

Comme on est une petite formation pour Salomé, je dirige sans baguette. J’aime expérimenter. Parfois, j’ai la sensation de toucher la matière musicale.

Être face à un orchestre c’est beaucoup de pression. ll faut être dans le pur présent, savoir quoi dire aux musiciens ou exactement quoi faire au bon moment. Je fais du sport, de la course à pied pour décompresser.

Croire en soi 

Je sors du Conservatoire dans quelques mois. J’ai déjà des pistes : je suis chef assistant à l’Orchestre Français des Jeunes et j’ai une commande à l’Orchestre de Normandie que je vais diriger. Je vais aussi préparer des concours internationaux. Les concours ce sont de gros tremplins mais c’est dangereux, on peut se brûler les ailes. 

Si j’ai le droit de rêver ? Alors devenir directeur musical : être invité à droite à gauche, toutes les deux ou trois semaines pour jouer dans un orchestre différent, voir le monde ! Et un conseil pour y arriver ? Croire en soi, « never give up ! ». Le jour où l’on s’arrête de croire en soi, c’est fini, on ne peut plus diriger.

S’engager 

Dans notre classe, nous ne sommes que des hommes en ce moment. La seule femme a dû suspendre ses études car elle ne maitrise pas assez bien le français. J’espère qu’elle va s’accrocher et revenir, elle a un talent fou.

Pour moi la direction d’orchestre n’est pas un métier masculin, je ne sais pas ce que c’est, un métier masculin. Seules les compétences comptent. L’année dernière, nous avons été dirigés par Susanna Mälkki. Je ne me suis dit à aucun moment « c’est une femme » : elle était comme n’importe quel autre des chefs d’orchestre invités, elle était compétente. 

Ce qui est très important pour moi, aussi, c’est d’aller chercher de nouveaux publics. Sinon, la musique classique meurt un peu. Je suis boursier, j’ai suivi ma scolarité gratuitement et j’ai la sensation d’avoir des responsabilités, de devoir rendre un peu de ce qu’on m’a donné. Avec des amis, nous avons fondé La Cordée, un ensemble à cordes et un ensemble vocal avec lequel nous voulons faire des concerts partout : dans les hôpitaux, les maisons de retraite, dans les écoles…

ll faut être dans le monde. C’est peut-être ça, un des nouveaux sens du métier de chef d’orchestre.