Etudiants du spectacle : cinq idées pour répéter gratuitement (ou presque)

(Club Photo Lyon2 via FLICKR)

Trouver des lieux de répétition est souvent la bête noire des étudiants du spectacle vivant. Jeunes danseurs, circassiens, musiciens ou comédiens, tous sont confrontés aux mêmes problématiques : comment répéter dans des conditions convenables lorsqu’on est entassé à cinq dans un petit studio ou que les voisins menacent d’alerter la maréchaussée à chaque mouvement d’archer un peu trop vigoureux ? De la même façon, préparer un spectacle ou un concert dans des conditions inconfortables ne prépare ni à la gestion de l’espace et du public ni à l’appréhension de l’acoustique.

L’Ecole du Spectacle a donc déniché cinq solutions pour que les artistes étudiants puissent répéter sans se ruiner.

Profitez de votre établissement

Que vous soyez une association étudiante ou tout simplement étudiant, des solutions existent pour répéter au sein de votre établissement. Si vous êtes à l’université ou en école, adressez-vous au Bureau de la vie étudiante (BVE) ou au Bureau des arts (BDA) pour réserver des locaux. En contactant les associations artistiques, il est généralement possible de bloquer des créneaux horaires pour répéter. Certains campus abritent également de véritables salles de spectacle (comme le théâtre Bernard-Marie-Koltès à l’Université de Nanterre ou le théâtre du Saulcy à l’Université de Lorraine). Idéal pour s’exercer in situ. Enfin, faites appel à la solidarité étudiante : n’hésitez pas à rejoindre des groupes dédiés sur les réseaux sociaux ou à poster sur la page de votre établissement pour partager vos bons plans. 

Faites appel aux mairies et aux associations de quartier

Si vous êtes une association loi 1901, il est possible d’entamer des démarches auprès de votre mairie pour obtenir l’accès à des salles de répétition. Des associations de quartier peuvent aussi vous prêter ou vous louer leurs locaux lorsqu’elles n’y sont pas présentes. A Paris, par exemple, la ville a mis en place la Maison des initiatives étudiantes, qui propose gracieusement des salles aux associations. Les locaux des Maisons des pratiques artistiques amateurs proposent des tarifs à partir de 2 euros l’heure. 

Pour motiver les élu.es à vous aider, proposez-leur un échange de visibilité en apposant leur logos sur vos supports de communication.

Recherchez des résidences de création

Vous voulez monter un spectacle et avez besoin d’une période continue de répétition ? De nombreux théâtres et espaces artistiques proposent ce qu’on appelle une résidence de création. Une immersion gratuite dans leurs locaux qui peut être suivi d’une « sortie de résidence », une présentation du projet aux professionnels et/ou au public. Pour postuler, il suffit de s’armer de patience et d’envoyer le dossier de création de votre projet aux lieux culturels situés dans votre région. N’hésitez pas à faire preuve d’audace et à demander directement un rendez-vous pour vous présenter et parler de votre projet.

Certains lieux sont spécialement dédiés aux résidences et proposent des tarifs raisonnables sur sélection de projets. Citons le Volapuk ou le 37e Parallèle à Tours, les studios de Virecourt aux alentours de Poitiers, la Pratique en région Centre-Val de Loire ou la Maison Maria Casarès en Charente.

Pensez au mécénat

Si vous êtes constitué en association loi 1901, vous pouvez faire appel au mécénat et demander à votre mécène de mettre à votre disposition des locaux. En échange de ce « mécénat en nature », vous pouvez, par exemple, proposer une représentation de votre spectacle ou un atelier de pratique artistique spécifique. Constituez un dossier présentant vos projets et les services artistiques que vous proposez et démarchez les entreprises autour de chez vous !

SPECIAL PARIS : quelques lieux alternatifs pour répéter à petits prix

Répéter dans la capitale peut s’avérer un véritable casse-tête pour le budget des étudiants du spectacle. Les salles de répétition classiques avoisinent en effet les 10 à 20 euros de l’heure et les espaces sont souvent saturés, sans parler de l’étroitesse des logements privés, peu propices à la répétition à domicile.

Voici une liste de lieux alternatifs qui proposent des tarifs plus abordables : La Villa Mais d’ici à Aubervilliers, le Théâtre de Verre dans le XIXe arrondissement, le Shakirail dans le XVIIIe, le Jardin d’Alice à Montreuil ou encore La Fontaine aux images à Aulnay-Sous-Bois.

Du côté du gratuit, le hall du Cent-quatre est mis à disposition des artistes, la coopérative La Génèrale propose des espaces de travail sur dossier avec possibilité de restitution publique, tandis que les occupants du Clos sauvage – espace d’activité autogéré à Aubervilliers – prêtent leur salle de travail aux jeunes artistes en échange d’une représentation.

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Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique : l’éducation citoyenne en chantant

 

Sarah Koné dirige les élèves de la Maîtrise (Crédit : Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique)

Sous le buste de Marianne, une cinquantaine d’adolescents reprend a capella « Happy » de Pharrell Williams et « Back to Black » d’Amy Winehouse. Comme tous les lundis soirs, ils ont troqué leurs cahiers et leurs manuels scolaires contre des partitions et explorent ensemble un répertoire allant des classiques de la comédie musicale aux standards du moment.

« Pour entrer dans la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique, il ne faut pas être issu d’une filière voix ou d’une autre maîtrise, explique Sarah Koné, directrice artistique et cheffe de chœur. Lors des auditions, nous ne regardons pas le dossier scolaire de l’élève. Seule la motivation compte ». Créer une formation d’excellence, consacrée aux arts de la scène lyrique et ouverte à tous, sans pré-requis ni frais de scolarité, tel est le projet que mène depuis huit ans, Sarah Koné.

« Avec le chant, ce qui est déterminant c’est l’investissement, explique la chanteuse soprano. On peut commencer à 14 ou 15 ans et rattraper le temps ».

Éducation populaire et citoyenne
Tout a commencé par un simple atelier de chant au collège François Couperin, dans le quatrième arrondissement de Paris, en 2008. Sarah Koné, qui achève sa formation en direction d’orchestre au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, choisit d’y mener son projet personnel de fin d’études. Au cœur de sa démarche, déjà, l’idée d’une éducation populaire à la musique et aux arts de la scène.

« Cet engagement est très lié à mon histoire personnelle, confie Sarah Koné. Je suis une femme dans la direction d’orchestre, ce qui est encore trop rare, et je suis métisse. C’est une réponse au métissage et à la double-culture qui m’a portée. J’ai eu beaucoup de chance et j’ai eu envie de transmettre à mon tour. » 

Les ateliers de Sarah Koné au collège François Couperin rencontrent un franc succès et, au fil des années, la scolarité des jeunes chanteurs est aménagée autour de la formation musicale.

Crédit : Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique

En mai 2016, le projet de Sarah Koné prend un nouvel envol : les « Classes Chantantes » reçoivent le label de « Maîtrise populaire de l’Opéra Comique ». Intégrée à l’Opéra Comique, la Maîtrise a ainsi pu élargir son recrutement et rassemble des élèves issus de trois académies. « Il y a une vraie mixité, affirme Sarah Koné. Le but n’était pas de créer une « maîtrise-guetto » mais de travailler le vivre ensemble par la musique. Par-delà la formation artistique, c’est une éducation citoyenne ».

Méthodes pédagogiques innovantes
Aujourd’hui, une soixantaine d’élèves de la sixième à la terminale, reçoit sept heures d’enseignement artistique aménagées sur leur temps de scolarité. Chant, danse, théâtre et claquettes sont au programme. Un cycle supérieur a été créé pour accueillir des élèves âgés de 18 à 25. Certains se dirigent ensuite vers des carrières dans le monde du spectacle. Sarah Koné suit avec une grande attention la réussite de ses élèves et « assiste à chaque conseil de classe »: le chant faisant parfois office de rempart contre le décrochage scolaire.

Crédit : Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique

Sarah Koné et son équipe de professeurs s’appuient sur des méthodes pédagogiques innovantes pour enseigner la musique à leurs élèves, qui arrivent grands débutants. La méthode du suisse Émile Jaques-Dalcroze, axée sur le corps et le mouvement, leur permet ainsi « de lire la musique en trois mois ».

À la fin de l’année les étudiants présenteront la comédie musicale Annie sur la scène nouvellement rénovée de l’Opéra Comique.

« Je souhaite tisser deux cultures, défend Sarah Koné. La culture populaire et la culture musicale. Que l’on déchiffre un livret d’opéra ou une comédie musicale, ce sont les mêmes outils que l’on apprend à maîtriser. Oui c’est populaire, et j’y tiens ! »

À l’École de danse de l’Opéra de Paris, les petits rats « traversent les frontières »

Au répertoire du spectacle de l’Ecole de danse, The Vertiginous Thrill of Exactitude de Forsythe (©Francette Levieux OnP)

Ils se pressent en rang serré, à l’entrée des artistes du Palais Garnier. Les cheveux des adolescentes sont ramenés en chignons serrés, recouverts d’un filet, leurs jambes fines sont chaussées de confortables baskets. Sous les vestes en jean des uns et les sweats à capuches des autres, on aperçoit l’élégance d’un justaucorps. Une boite de « pansements ultra-confort » dépasse d’un sac à dos d’écolier.

En ce mois d’avril, les petits rats sont de retour à l’Opéra national de Paris pour leur spectacle annuel. Ces enfants et adolescents, dont la scolarité est rythmée par la danse, fêtent en 2017 les 40 ans des spectacles et les 30 ans de l’installation de l’école de danse de l’Opéra à Nanterre. Cette année, un programme particulièrement exigeant les attend, au croisement des cultures et des répertoires : Divertimiento No. 15 du russe George Balanchine (1956), The Vertiginous Thrill of Exactitude de l’américain William Forsythe (1996) et l’acte III de Raymonda de Rudolf Noureev (créé pour l’Opéra de Paris en 1983).

Parmi les cinquante élèves français présents à Garnier ce 3 avril, de jeunes danseurs américains, allemands ou danois. Car l’Opéra de Paris organise également « Le Gala des écoles de danse du XXIe siècle » : 29 élèves invités issus de 7 établissements à travers le monde viennent passer une semaine à Nanterre et danser un spectacle à l’Opéra. Ils viennent des plus prestigieuses écoles : The Royal Danish Ballet School au Danemark, The San Francisco Ballet School aux Etats-Unis ou l’Académie Vaganova en Russie.

« Cette année, c’est vraiment la traversée des frontières dans tous les sens du terme, explique Marius Rubio, élève à l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris.

Aussi bien sur le plan artistique – on fait un grand pas en avant dans notre apprentissage – que par ces rencontres avec des élèves du monde entier ».

Les jeunes danseuses de l’Ecole de danse interprètent le Divertimento No. 15 de Balanchine (©Francette Levieux OnP)

Une ouverture à de nouveaux horizons qui nous donne l’occasion de nous entretenir avec deux petits rats. Marius Rubio, 15 ans, et Maya Candeloro, 14 ans, nous parlent des événements exceptionnels qui font, cette année, l’ordinaire de leurs adolescences.

Dans quelques heures, vous danserez sur la scène de l’Opéra Garnier… Vous avez le trac ?

MARIUS : Avec le temps, on apprend à gérer le stress, on prend de l’assurance. Du coup, on essaye de vivre pleinement la représentation du soir, pour pouvoir prendre du plaisir et sourire. C’est très important de sourire ! Même si on rate !

MAYA : C’est pareil, je me dis que, quoi qu’il arrive, je dois essayer de m’amuser ! Si je me laisse envahir par le stress, je fais tout de suite des erreurs.

Comment arrivez-vous à gérer la danse et votre scolarité ?

MAYA : Le matin on a cours et l’après-midi, on danse de 13h30 à 18h30. C’est un rythme qu’on prend et dont on ne peut plus se passer. Vous savez, le matin on est des élèves normaux (elle rit). Les filles n’ont pas de chignon de danse, ni rien !

Cette année, je passe le brevet et c’est en même temps que notre examen de fin d’année [ qui décide si les élèves sont autorisés ou non à rester à l’Ecole de danse, ndr ]. Il va falloir rester très concentrés.

Vous vivez une jeunesse hors du commun. Comment la décririez-vous ?

MAYA : Contrairement à d’autres jeunes de notre âge, on a la chance de savoir ce qu’on veut faire plus tard, on a un but très précis. On apprend déjà un métier et on veut se nourrir le plus possible, pour aller vers notre rêve.

Je n’ai peut-être pas eu une enfance comme tout le monde, mais je crois que j’ai une enfance chanceuse, oui c’est ça, une enfance chanceuse. Vous savez, c’est magique d’être ici, à l’Opéra de Paris.

MARIUS : Quand je me sens triste, ou découragé, j’essaie de m’imaginer que je ne suis plus à l’école, que je ne vis plus tous ces moments incroyables… Et je retrouve la motivation ! Pour moi, c’est une leçon de vie d’être ici, c’est un honneur et c’est une joie.

Vous rencontrez actuellement des étudiants venus d’autres pays, c’est important pour un artiste de s’ouvrir au monde ?

MARIUS : Oui, très. Cette semaine, on a cours avec les élèves des autres écoles. On découvre leurs univers, ils s’initient à nos traditions, on apprend à se connaître. À l’école de danse, on est un peu dans une bulle, un monde fermé. Les échanges artistiques permettent de développer l’art, de l’enrichir. 

Cet été, je pars faire un stage de danse de trois semaines à Huston, aux Etats-Unis, pour découvrir de nouveaux codes, m’immerger dans un monde que je ne connais pas. Et parler anglais aussi !

Que ressentez-vous, lorsque vous dansez ?

MAYA : Quand je danse ? Quand je danse, j’oublie tous mes problèmes, je me sens heureuse, je me sens libre…

MARIUS : En ce moment, je prends de plus en plus de plaisir à être sur scène, à vivre chaque cours. J’ai l’impression de beaucoup progresser, je commence à pouvoir être un danseur.

On vit l’instant présent, on sourit et on y va.

MAYA : Et on n’a pas envie que ça s’arrête.

L’acte III du ballet Raymonda cloture le Spectacle annuel de l’Ecole (©Francette Levieux OnP)

« Les femmes artistes disparaissent progressivement du métier après la sortie de l’école »

Aline César, présidente H/F Île-de-France (Ariane Mestre)

Le constat est sans appel. Alors que les étudiantes du spectacle vivant sont plus nombreuses que les étudiants selon l’Observatoire 2016 de l’égalité entre hommes et femmes dans la culture et la communication, le milieu demeure très majoritairement masculin lorsqu’il s’agit d’occuper des postes à responsabilité, aussi bien sur le plan artistique qu’en termes de production.

La SACD dans sa brochure 2012-2017 « Où sont les femmes, toujours pas là », recensait 1% de compositrices, 27% de metteuses en scène et 37% de chorégraphes. Du côté de la direction, le bilan n’est guère plus concluant avec 11% de directrices de Maisons d’Opéra, 28% de directrices de scènes nationales et aucune femme à la tête de théâtres nationaux depuis 2014.

Pour lutter contre cette progressive « évaporation » des femmes dans la culture, le mouvement H/F – pour l’égalité femme/homme dans l’art et la culture – se mobilise et attaque le problème à la racine. Si les femmes disparaissent une fois entrées dans la vie professionnelle, les écoles et universités ont, elles aussi, un rôle à jouer. Une enquête a été rendue publique fin 2016 pour étudier les trajectoires professionnelles des artistes femmes en art dramatique. Le mouvement mène également des actions de sensibilisation dans les écoles, auprès des étudiants et des équipes pédagogiques. Entretien avec Aline César, autrice, metteuse en scène et présidente d’H/F Île-de-France. 

(infographie : SACD, brochure Où sont les femmes ? Bilan 2012 – 2017)

Comment expliquer la « disparition » des femmes dans le spectacle vivant, alors qu’elles sont plus nombreuses que les hommes à faire des études artistiques ? Il y a-t-il un phénomène d’autocensure lors des études ?

Je n’aime pas trop parler d’autocensure car on a la sensation que c’est la faute des filles. Je ne crois pas que ce soit le cas pour le spectacle vivant, du moins à l’école. Je vois plein de filles qui se lancent dans la direction artistique, le portage de projet… Elles ont autant de culot, d’envie et de courage que les garçons. L’école est un cocon, et on n’est pas encore dans ces problématiques-là.

Cependant, il y a un premier écrémage des talents féminins lors des concours d’entrée dans les écoles supérieures. Dans le cas du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris (CNSAD), 2/3 des candidats sont des femmes alors que le recrutement est strictement paritaire.
Mais c’est au moment de l’entrée dans le métier que les divergences vont apparaitre et que des barrières se mettent en place.

Quelles sont les causes de ces divergences de carrière?

Dans le cadre de notre enquête sur les trajectoires professionnelles des artistes femmes en art dramatique, l’anthropologue Raphaëlle Doyon a mis au jour un double phénomène d’évaporation des femmes. Elle a interrogé des diplômés à la sortie de l’école, puis cinq ans après, puis au moment de la confirmation professionnelle, dix ans après.

Elle a constaté que les femmes metteuses en scène, autrices, dramaturges ou comédiennes disparaissent petit à petit ou ne réussissent pas leur entrée dans le métier ou vont plus facilement se reconvertir. La majorité des sortants de l’intermittence sont plutôt des femmes. Dans le cas des comédiennes, c’est lorsque les dispositifs d’insertion professionnelle des écoles prennent fin qu’on constate une différence flagrante. Elles ont moins de projets, moins de rôles et moins de réseau que les hommes.

Passé 35 ans, c’est la plus forte évaporation. A ces âges, se posent bien évidemment les questions de la concurrence accrue, de la précarité, de la conciliation avec la vie de famille… Et les femmes en pâtissent davantage que les hommes. Elles sont moins dans les réseaux, car elles ont moins intégré que les hommes qu’il faut sociabiliser et se constituer un carnet d’adresse.

(infographie : SACD, brochure Où sont les femmes ? Bilan 2012 – 2017)

Quel rôle joue l’école dans ces parcours opposés entre hommes et femmes ? Les jeunes femmes souffrent-elles de préjugés ou de stéréotypes de genre lors de leurs formations artistiques ?

A travers l’enquête de Raphaelle Doyon, on constate que, dans le cas des écoles où l’on apprend l’art du jeu et de la mise en scène, il y a des assignations liées au stéréotype de genre pour les comédiennes dès le temps de la formation. La question de « l’emploi » est encore très présente en France. Le comédien ou la comédienne est soumis à cette espèce d’impératif sur ce que l’on s’imagine du rôle en terme d’âge, de physique, de corpulence. Une jeune fille un peu ronde ne jouera pas Célimène dans le Misanthrope. Elle jouera la veuve Arsinoé. Cette assignation est encore plus complexe pour les jeunes femmes de couleur. Et certains professeurs ont toujours une vision très stéréotypée.

Ensuite, l’écriture même des textes classiques a une influence pour former les actrices. Il y a moins de rôles pour les femmes, moins de possibilités. Dans le cas de Shakespeare, on recense 90 rôles féminins pour 500 rôles au total. Le recrutement des étudiants est souvent paritaire dans les écoles de théâtre pour répondre à cet impératif de répertoire. Comme le dit une personne interrogée dans l’enquête : « Il faut bien un Titus pour répondre à Bérénice !» 

Nous avons beaucoup parlé de théâtre, qu’en est-il des autres domaines du spectacle vivant ?

Dans le cas des musiques savantes, c’est un secteur catastrophique pour les femmes : 1% de compositrices et 5% de chefs d’orchestre. Il y a un énorme écart dans la pratique amateure, où les filles sont plus nombreuses, et la disparition dans le secteur professionnel. Idem pour la danse et le secteur chorégraphique. Plus on monte en visibilité et en responsabilité, plus les femmes disparaissent.

Peut-être que les jeunes femmes manquent de modèles de réussite féminine. Il n’y a pas encore de point d’entrée visible dans ces métiers. Mais les musiques savantes comme la danse sont encadrées par des diplômes, qui permettent aux femmes d’acquérir leur légitimité.

Du côté des musiques actuelles, qui ne sont pas validées par un diplômé à l’exception du jazz, le constat en encore plus terrible pour les femmes. C’est un domaine où le sexisme est omniprésent, où il faut s’auto-valider pour se lancer et bénéficier d’une cooptation souvent masculine. Les lieux de socialisation sont masculins et nocturnes, ce qui est peu sécurisant pour les jeunes femmes. On nous a rapporté des cas de harcèlement sexuel et d’agression de musiciennes dans les festivals. Il y a un vrai travail à faire, à tous les niveaux.

(infographie : SACD, brochure Où sont les femmes ? Bilan 2012 – 2017)

Face à ces constats, quel est le rôle de l’école pour changer les choses ?


Le chemin est encore long mais l’endroit essentiel est de sensibiliser les étudiants et les équipes pédagogiques. H/F intervient dans les universités et les écoles et a vocation à davantage intervenir encore.

Les jeunes hommes ne doivent pas non plus être exclus de ces problématiques, elles ne sont en aucun cas unisexes. Il faut qu’ils prennent conscience que s’ils ne se retrouvent qu’entre mecs à l’arrivée alors que les classes étaient mixtes au départ, ce n’est pas parce que leurs copines n’ont pas envie de créer ou de jouer. Pour le moment, les réactions que nous avons dans les écoles sont très intéressées et bienveillantes.

Certaines écoles essaient également de faire bouger les choses. Nous parlions de répertoire et d’emploi dans le théâtre tout à l’heure. L’École Supérieure d’Art Dramatique de Paris essaie de se libérer de cette contrainte et articule sa formation autour de « l’acteur créateur » et de nouveaux répertoires contemporains, ce qui offre davantage de possibilités aux jeunes comédiennes.

Il y a aussi un travail à faire sur la langue au sein des enseignements. Si l’on dit « autrice » ou « metteuse en scène », cela permet de faire exister les femmes au sein même de la langue française et de donner aux jeunes filles artistes leur légitimité.

Elisabeth Platel de l’Opéra national de Paris : « nos élèves ont un rêve d’enfant »

Elisabeth Platel entourée de ses élèves (DAVID ELOFER/OPERA NATIONAL DE PARIS)
Elisabeth Platel, entourée de ses élèves (DAVID ELOFER/OPERA NATIONAL DE PARIS)

Chaque année depuis 1977, au début du mois de décembre, les pirouettes des « petits rats » envahissent l’Opéra Garnier à Paris. Les élèves et professeurs de l’École de danse de l’Opéra national de Paris quittent leur campus de Nanterre pour présenter sous le plafond de Chagall les savoirs et techniques acquis au cours du premier semestre. L’occasion de nous entretenir avec l’étoile Elisabeth Platel, à la tête de l’Ecole de Danse depuis 2004, sur les enjeux de la formation de ces 150 jeunes danseurs.

Que représentent les Démonstrations pour les élèves de l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris?

C’est une étape importante. C’est la première réalisation scénique de l’année et c’est pour nous le moment de dresser un bilan des quatre premiers mois de travail. Le travail en studio à l’Ecole – qui est un travail de construction et de longue haleine – prend toute sa valeur lorsqu’il est effectué sur scène. Les élèves doivent faire avec les lumières, le trac, la pente [le sol du Palais Garnier est légèrement incliné NDR]. Contrairement à la classe, où ils sont habitués à faire et refaire, ils n’exécutent qu’une seule fois le mouvement, ils n’ont plus le droit à l’erreur.

Les danseuses de sixième division sur la scène du Palais Garnier en décembre 2016 (SVETLANA LOBOFF/OPERA NATIONAL DE PARIS)
Les élèves de 5ème et 6ème division sur la scène du Palais Garnier (SVETLANA LOBOFF/OPERA NATIONAL DE PARIS)

Cela va aussi nous permettre de voir si l’enfant va être transcendé par la scène ou, au contraire, s’il va être totalement tétanisé. Les Démonstrations sont donc une sorte de thermomètre, mais rien n’est jamais acquis ou établi définitivement. C’est une étape et on ne fait que passer des étapes dans notre métier.

Justement, la vie d’un danseur semble jalonnée de concours: l’entrée à l’Ecole de Danse, le recrutement dans le corps de Ballet, le concours interne tous les ans pour monter en grade dans la compagnie…Comment préparez-vous vos jeunes élèves à les affronter ?

La vie de danseur n’est pas une vie de concours. Car à l’instant où l’on se dit que c’est un concours, on accepte d’être jugé par quelqu’un d’autre. Or, le plus important c’est de se connaître soi-même. Les danseurs sont des conquérants de l’inutile dans le bon sens du terme. On va à la recherche de notre perfection, qui est elle-même impossible à atteindre.

« Les danseurs sont des conquérants de l’inutile »

Pour ce qui d’y préparer nos élèves… Et bien, ils nous voient ! On leur parle de nous et on leur explique que, même en tant que professeur, on va constamment se remettre en question. On les renforce aussi au niveau technique : plus ils sont forts et plus ils deviennent autonomes.

Vous savez, on est face à des enfants en pleine croissance, en pleine évolution à la fois physique et psychologique. Ils ont un rêve d’enfant, et l’enjeu, à l’école, c’est de savoir s’ils vont garder ce rêve. A quatorze ou quinze ans, certains s’aperçoivent que la réalité n’est pas forcément drôle, qu’être danseur ce n’est pas juste avoir une couronne et un tutu. 

Vous parliez de la technique, qu’est-ce qui caractérise l’enseignement que reçoivent vos élèves ?

Je pense que c’est ce fameux mot, le style. Nous, les danseurs français, sommes à la fois cartésiens et latins. C’est un certain raffinement, une clarté, une technique très ciselée… Les Démonstrations sont aussi en cela une vitrine de notre enseignement. Nous maintenons nos traditions par des exercices anciens, comme les gammes pour un musicien. Et ce sont des exercices que nous avons nous-même pratiqués. Car tous les professeurs sont passés à un moment où un autre par l’Ecole de danse et ont intégré la compagnie de l’Opéra de Paris. Même si nous avons des âges différents, nous sommes de la même famille artistique.

A l’Opéra national de Paris, les petits rats cultivent le style français (SVETLANA LOBOFF/OPERA NATIONAL DE PARIS)
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Classe de première division de Jacques Namont en représentation au Palais Garnier (SVETLANA LOBOFF/OPERA NATIONAL DE PARIS)

Et comment l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris, héritière des traditions que vous décrivez, se positionne face à la globalisation des échanges artistiques ?

Il arrive souvent que des élèves viennent de l’étranger, qu’ils aient commencé leur formation dans d’autres pays. Nous leur expliquons que ce qu’ils y ont appris est très bien, mais qu’il va falloir désormais travailler de façon légèrement différente.

Au mois d’avril, nous organisons de nouveau à l’Opéra de Paris « Le Gala des écoles de danse du XXIème siècle » avec des écoles américaines, canadiennes, danoises, anglaises… Tous ont leurs particularités et ce sont des échanges très intéressants. Nous faisons face à cette mondialisation de l’art, à cette mondialisation des enseignements, à YouTube qui nous permet de visionner des milliers de films auxquels nous n’avions pas accès à mon époque. Nous en avons discuté entre directeurs d’école et nous nous sommes dit que si cette connaissance mutuelle est nécessaire, le plus important c’est que chacun « garde son accent ». On a tous notre identité.

Est-ce que l’utilisation de la vidéo, via YouTube par exemple, peut transformer l’apprentissage des jeunes danseurs de l’Ecole, pour mémoriser les variations par exemple ?

A l’Ecole de Danse, nous cultivons énormément notre mémoire. Elle est à la fois sélective et elle transforme les choses. Un de mes professeurs  m’expliquait, par exemple, que la façon dont j’avais modifié un de ses exercices était la plus « vraie » puisque ça avait été ma manière de le recevoir puis de le transmettre à mon tour.

Les élèves de première division au Palais Garnier (SVETLANA LOBOFF/OPERA NATIONAL DE PARIS)

En classe, on peut demander à un élève de réviser une chorégraphie en regardant un film mais ce n’est pas la base de notre enseignement et ce n’est pas comme cela qu’un élève apprendra un ballet. Pour nous, la vidéo est un outil mais elle n’est en rien primordiale.

En effet, nous transmettons une mémoire vivante alors que la mémoire de l’image est plate, stérile. Un écran ne vous transmettra pas l’émotion alors qu’une rencontre avec un professeur vous donnera l’âme d’un pas ou d’une variation. Avec les films, on va seulement chercher à copier. Je suis beaucoup plus pour l’apprentissage par la sensation dans le corps. Car c’est ainsi qu’on devient libre.

Spectacle de l’Ecole de danse, du 31 mars au 4 avril 2017 au Palais Garnier, Gala des écoles de danse du XXIème siècle, le 07 avril 2017 au Palais Garnier.