« Les femmes artistes disparaissent progressivement du métier après la sortie de l’école »

Aline César, présidente H/F Île-de-France (Ariane Mestre)

Le constat est sans appel. Alors que les étudiantes du spectacle vivant sont plus nombreuses que les étudiants selon l’Observatoire 2016 de l’égalité entre hommes et femmes dans la culture et la communication, le milieu demeure très majoritairement masculin lorsqu’il s’agit d’occuper des postes à responsabilité, aussi bien sur le plan artistique qu’en termes de production.

La SACD dans sa brochure 2012-2017 « Où sont les femmes, toujours pas là », recensait 1% de compositrices, 27% de metteuses en scène et 37% de chorégraphes. Du côté de la direction, le bilan n’est guère plus concluant avec 11% de directrices de Maisons d’Opéra, 28% de directrices de scènes nationales et aucune femme à la tête de théâtres nationaux depuis 2014.

Pour lutter contre cette progressive « évaporation » des femmes dans la culture, le mouvement H/F – pour l’égalité femme/homme dans l’art et la culture – se mobilise et attaque le problème à la racine. Si les femmes disparaissent une fois entrées dans la vie professionnelle, les écoles et universités ont, elles aussi, un rôle à jouer. Une enquête a été rendue publique fin 2016 pour étudier les trajectoires professionnelles des artistes femmes en art dramatique. Le mouvement mène également des actions de sensibilisation dans les écoles, auprès des étudiants et des équipes pédagogiques. Entretien avec Aline César, autrice, metteuse en scène et présidente d’H/F Île-de-France. 

(infographie : SACD, brochure Où sont les femmes ? Bilan 2012 – 2017)

Comment expliquer la « disparition » des femmes dans le spectacle vivant, alors qu’elles sont plus nombreuses que les hommes à faire des études artistiques ? Il y a-t-il un phénomène d’autocensure lors des études ?

Je n’aime pas trop parler d’autocensure car on a la sensation que c’est la faute des filles. Je ne crois pas que ce soit le cas pour le spectacle vivant, du moins à l’école. Je vois plein de filles qui se lancent dans la direction artistique, le portage de projet… Elles ont autant de culot, d’envie et de courage que les garçons. L’école est un cocon, et on n’est pas encore dans ces problématiques-là.

Cependant, il y a un premier écrémage des talents féminins lors des concours d’entrée dans les écoles supérieures. Dans le cas du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris (CNSAD), 2/3 des candidats sont des femmes alors que le recrutement est strictement paritaire.
Mais c’est au moment de l’entrée dans le métier que les divergences vont apparaitre et que des barrières se mettent en place.

Quelles sont les causes de ces divergences de carrière?

Dans le cadre de notre enquête sur les trajectoires professionnelles des artistes femmes en art dramatique, l’anthropologue Raphaëlle Doyon a mis au jour un double phénomène d’évaporation des femmes. Elle a interrogé des diplômés à la sortie de l’école, puis cinq ans après, puis au moment de la confirmation professionnelle, dix ans après.

Elle a constaté que les femmes metteuses en scène, autrices, dramaturges ou comédiennes disparaissent petit à petit ou ne réussissent pas leur entrée dans le métier ou vont plus facilement se reconvertir. La majorité des sortants de l’intermittence sont plutôt des femmes. Dans le cas des comédiennes, c’est lorsque les dispositifs d’insertion professionnelle des écoles prennent fin qu’on constate une différence flagrante. Elles ont moins de projets, moins de rôles et moins de réseau que les hommes.

Passé 35 ans, c’est la plus forte évaporation. A ces âges, se posent bien évidemment les questions de la concurrence accrue, de la précarité, de la conciliation avec la vie de famille… Et les femmes en pâtissent davantage que les hommes. Elles sont moins dans les réseaux, car elles ont moins intégré que les hommes qu’il faut sociabiliser et se constituer un carnet d’adresse.

(infographie : SACD, brochure Où sont les femmes ? Bilan 2012 – 2017)

Quel rôle joue l’école dans ces parcours opposés entre hommes et femmes ? Les jeunes femmes souffrent-elles de préjugés ou de stéréotypes de genre lors de leurs formations artistiques ?

A travers l’enquête de Raphaelle Doyon, on constate que, dans le cas des écoles où l’on apprend l’art du jeu et de la mise en scène, il y a des assignations liées au stéréotype de genre pour les comédiennes dès le temps de la formation. La question de « l’emploi » est encore très présente en France. Le comédien ou la comédienne est soumis à cette espèce d’impératif sur ce que l’on s’imagine du rôle en terme d’âge, de physique, de corpulence. Une jeune fille un peu ronde ne jouera pas Célimène dans le Misanthrope. Elle jouera la veuve Arsinoé. Cette assignation est encore plus complexe pour les jeunes femmes de couleur. Et certains professeurs ont toujours une vision très stéréotypée.

Ensuite, l’écriture même des textes classiques a une influence pour former les actrices. Il y a moins de rôles pour les femmes, moins de possibilités. Dans le cas de Shakespeare, on recense 90 rôles féminins pour 500 rôles au total. Le recrutement des étudiants est souvent paritaire dans les écoles de théâtre pour répondre à cet impératif de répertoire. Comme le dit une personne interrogée dans l’enquête : « Il faut bien un Titus pour répondre à Bérénice !» 

Nous avons beaucoup parlé de théâtre, qu’en est-il des autres domaines du spectacle vivant ?

Dans le cas des musiques savantes, c’est un secteur catastrophique pour les femmes : 1% de compositrices et 5% de chefs d’orchestre. Il y a un énorme écart dans la pratique amateure, où les filles sont plus nombreuses, et la disparition dans le secteur professionnel. Idem pour la danse et le secteur chorégraphique. Plus on monte en visibilité et en responsabilité, plus les femmes disparaissent.

Peut-être que les jeunes femmes manquent de modèles de réussite féminine. Il n’y a pas encore de point d’entrée visible dans ces métiers. Mais les musiques savantes comme la danse sont encadrées par des diplômes, qui permettent aux femmes d’acquérir leur légitimité.

Du côté des musiques actuelles, qui ne sont pas validées par un diplômé à l’exception du jazz, le constat en encore plus terrible pour les femmes. C’est un domaine où le sexisme est omniprésent, où il faut s’auto-valider pour se lancer et bénéficier d’une cooptation souvent masculine. Les lieux de socialisation sont masculins et nocturnes, ce qui est peu sécurisant pour les jeunes femmes. On nous a rapporté des cas de harcèlement sexuel et d’agression de musiciennes dans les festivals. Il y a un vrai travail à faire, à tous les niveaux.

(infographie : SACD, brochure Où sont les femmes ? Bilan 2012 – 2017)

Face à ces constats, quel est le rôle de l’école pour changer les choses ?


Le chemin est encore long mais l’endroit essentiel est de sensibiliser les étudiants et les équipes pédagogiques. H/F intervient dans les universités et les écoles et a vocation à davantage intervenir encore.

Les jeunes hommes ne doivent pas non plus être exclus de ces problématiques, elles ne sont en aucun cas unisexes. Il faut qu’ils prennent conscience que s’ils ne se retrouvent qu’entre mecs à l’arrivée alors que les classes étaient mixtes au départ, ce n’est pas parce que leurs copines n’ont pas envie de créer ou de jouer. Pour le moment, les réactions que nous avons dans les écoles sont très intéressées et bienveillantes.

Certaines écoles essaient également de faire bouger les choses. Nous parlions de répertoire et d’emploi dans le théâtre tout à l’heure. L’École Supérieure d’Art Dramatique de Paris essaie de se libérer de cette contrainte et articule sa formation autour de « l’acteur créateur » et de nouveaux répertoires contemporains, ce qui offre davantage de possibilités aux jeunes comédiennes.

Il y a aussi un travail à faire sur la langue au sein des enseignements. Si l’on dit « autrice » ou « metteuse en scène », cela permet de faire exister les femmes au sein même de la langue française et de donner aux jeunes filles artistes leur légitimité.

9 commentaires sur “« Les femmes artistes disparaissent progressivement du métier après la sortie de l’école »

  1. Il serait aussi intéressant de se questionner sur la disparition des femmes dans les parcours d’arts appliqués, écoles publiques ou privées où malgré une forte majorité de femmes sur les deux premières années, leur présence se fait moindre après la forte sélection par jury pour l’accès au formation à bac +3 et master où le nombre de places est restreint.
    Il suffit ensuite de feuilleter des livres, magazines de design, de mode, composition des studios de création de marques reconnues pour constater qu’elles se sont quasiment effacées face à leurs concurrents masculins.

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  2. @Cossonière
    … les parcours de formation sont souvent complexes, notamment dans les arts appliqués.
    Suivre avec attention les cohortes montre que les étudiantes en design et métiers d’art sont bien présentes voire nettement majoritaires dans certaines formations bac +3 même s’il existe, bien sûr, des différences entre les sites de formation et les spécialités (architecture intérieure, design de produit, graphisme, mode…)
    Je serais aussi plus nuancé sur la place de ces professionnelles dans la presse spécialisée.

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  3. cette étude est fort interessante mais le fait qu’on n’y parle pas du tout des artistes musiciennes, instrumentistes et chanteuses, fait planer un doute sur l’objectivité du propos. C’est fort dommage; on ne peut servir une cause qu’en s’imposant une rigueur absolue.

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  4. Dans le monde des arts, la plupart des garçons sacrifient « la vie de famille », pas nécessairement de gaieté de coeur. C’est difficile d’être artiste professionnel et d’avoir des enfants. Ceux qui s’en sortent le mieux sont les homos, qui n’ont pas ce problème-là. Ce qui explique aussi leur prévalence dans ces milieux.

    Concernant le réseau, dans mon expérience les nanas ont des réseaux de solidarité bien plus développés que les mecs qui sont tout le temps en concurrence les uns avec les autres… Je ne sais pas d’où vous sortez que les filles « ont moins bien intégré » que c’était important.

    Pour régler le problème ce serait bien de s’attaquer à la racine du mal : l’immense précarité de ces métiers, la grande pauvreté qui s’ensuit – conditions qui rendent la création d’une famille impossible et qui font que les femmes s’en vont, très logiquement, chercher plus de stabilité.

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  5. Combien de danseuses pour combien de danseur….

    Vouloir l’egalite par metier, c’est ignorer un probleme majeur: hommes et femmes sont differents.

    Le probleme est ailleurs: l’inegalite salariale, l’inegalite en services, l’inegalite en droit.
    Les hommes aurait egalement tout a y gagner.
    Collectivement, les femmes sont stupides (suffirait quelles decident de cesser de pondre tant qu’elle n’ont pas l’egalite totale de salaire a travail egal, que la garde des enfants soit assuree et gratuite etc)
    Collectivement les hommes sont stupides: ils y ggnerait la possibilite de rester a la maison bricoler etc, pendant que les femmes pourraient aller « s’epanouir » au travail, sans etre regardé de travers.

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  6. Le sujet est complexe. En insistant sur des termes féminin dont les féminisations sont inconsciemment considérées comme une insulte équivalente à « tapette », on ruine un peu les chances de ces filles. La féminisation intervient avec quota ou après l’égalité avec les hommes.
    Je suis artiste plasticienne, ça va , mais plasticien cela fait tout de suite plus expert et moins esthéticienne.

    Utiliser un nom féminin, c’est inviter l’agression des hommes et de leurs groupies. C’est une allergie à la femme plus intelligente que l’homme.
    J’utilise le neutre, c’est toujours un bouclier plus efficace et temporairement je pense qu’il faut le conseiller. Cela fait taire les groupies étonnement.

    Je pense qu’il faut des quotas, c’est clairement un impératif dans un mouvement de destruction des emplois féminins.
    On sous estime la misogynie et machisme.

    En tant que femme qui aurait pu être la « première » dans son domaine, j’ai reçue des menaces de morts, de viol sur ma fille…. on a tout fait pour me décourager, on m’a humiliée… agressée etc etc etc – c’était dans l’informatique mais c’est le même rapport de force.

    Donc faire des croches pieds, des accords entre amis, avoir un « carnet » c’est des méthodes d’homme, de mafieux, pour contourner le système.
    La femme est honnête et joue les règles du jeu surtout dans l’art qui ne permet pas le mensonge mais qui est accepter dans l’homme comme un signe virilité absolu interdit à la femme qui doit rester virginale.

    Ensuite, il faut développer la pensée féminine, et ça c’est le plus dangereux aujourd’hui car l’homme est sans complexe dans ses autodafés et critiques qui vont jusqu’au ridicule mais que la femme naïve, trop comme toujours, ne comprend pas comme « MENSONGE ». Elle part alors trop souvent dans des dédales afin de satisfaire le père, le mari, le fils, le frère…. et renonce car étonnamment il n’y a aucune autorité morale qu’elle puisse satisfaire. Il faut qu’elle comprenne que l’homme utilise la première excuse trouvable pour l’envoyer paitre et préserver l’héritage de son père, sa vision – pas terrible. ET comme il n’y a aucune femme, il n’y aura aucun adoubement ou protection pour les femmes FEMME. Celle qui existe sont des « fille de ». C’est donc une montagne d’abominations pour ces femmes privées de moyens d’expression et de responsabilités qui permettrait de raffermir cette pensée féminine qui ne demande qu’à grandir mais qu’on veut contraindre au chemin de l’homme sans la femme et sans esprit de féminité – qu’on réserve à l’homme supérieur.

    Le vrai problème, c’est que nous sommes différentes au point que l’homme nous trouve dangereuse, irresponsable, mauvaise critique…
    On rencontre l’intolérance de la France la plus dissimulée derrière la fausse critique et le jeu des manipulations psychologiques.

    J’aimerai connaitre le taux de suicide et d’accidents chez les femmes artistes en comparaison d’autres secteurs plus féminins. Vous verrez vous serez terrifiés.


    MARIANNE

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  7. Je n’aime pas trop m’aventurer et différencier les hommes et les femmes, mais il faut reconnaître que l’époque est propice pour dire certaines choses. Il me semble que pour les femmes nous nous fatigons du rapport pouvoir/séduction qui est inhérent, du monde du théâtre à l’ensemble de la société. Et essentiellement parce qu’ on est plus souvent coincée dans le pôle séduction! Et les hommes peuvent se permettre d’être plus concentrés sur l’obtention du job, de la paye… Et au final, il est plus rare, dans le théâtre. Mais je trouve encourageant de voir tant de petites compagnies menées par des femmes. Et les textes arrivent. Nous saurons modifier nos habitudes et les temps changent.

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