« Je cherche à créer une nouvelle forme de poésie », Sébastien Palluel, étudiant à l’école 42 et artiste-codeur

Extrait de Vibration, oeuvre visuelle générée par un algorithme

Sur l’écran, un organisme orangé se dilate, se multiplie et s’étiole avant de disparaître dans un vrombissant tourbillon de pixels. Il laisse place à un ciel noir de jais où palpite en arythmie une aveuglante boule de lumière. Postés à coté de l’écran de projection, l’artiste-codeur Sébastien Palluel, 25 ans et et les musiciens Boris Haladjian et Thibault Csukonyi, 29 et 30 ans, ont les yeux rivés sur leurs ordinateurs. D’un clic, ils dialoguent en direct avec leur oeuvre visuelle, qui évolue en temps réel face au spectateur, en fonction du son que les comparses diffusent.

Bienvenue dans « Vibration », installation audiovisuelle immersive, entièrement générée par des lignes de code, qui sera présentée le 12 mai prochain au Musée national des arts asiatiques-Guimet, à Paris dans le cadre de la semaine d’exploration sonore Cosmophonia.

Passionné par les interactions entre le son et l’image, Sébastien Palluel a imaginé une application capable de créer des visuels selon la « plastique sonore » qu’elle perçoit. S’appuyant sur une narration élaborée au préalable, l’algorithme créée de façon autonome des images, en réagissant aux intensités du son diffusé dans la pièce. Un « art génératif » donc, à l’ère où le cinéma et la musique expérimentales flirtent avec la révolution numérique et ses infinies possibilités. « Une nouvelle forme de poésie » selon Sébastien Palluel, passionné de cinéma et actuellement étudiant à l’école de développeurs informatiques 42.

Qu’est-ce qui vous a mené à l’art génératif ?

J’ai un parcours assez atypique. J’ai fait une classe préparatoire littéraire option cinéma puis j’ai étudié le cinéma expérimental et la musique assistée par ordinateur en master à l’Université Paris VIII. Il m’a très vite semblé que le montage en cinéma était trop figé, trop réducteur. J’ai eu envie d’expérimenter un médium où le son et l’image seraient en symbiose, de faire résonner les arts en correspondance et en synergie. Le numérique permet de renverser ces frontières. Je me suis donc initié en autodidacte au code et à la programmation.

Une fois mon master terminé, mes amis m’ont conseillé de tenter la « piscine » [le concours d’entrée à l’école 42, NDR ] que j’ai réussie en 2016. Si l’école 42 ne me sert pas directement dans ma pratique artistique, j’y trouve une grande liberté et une interaction précieuse avec les autres élèves.

Dans « Vibration », l’oeuvre que vous proposez, savez-vous à l’avance ce qui va se produire ?

Avec les musiciens et sound-designers Boris Haladjian et Thibault Csukonyi, nous définissons au préalable une trame narrative et sonore pour nos pièces. Pour « Vibration », nous nous sommes inspirés du  « Bardo Thödol», le livre des morts tibétains, pour proposer au spectateur un voyage immersif et contemplatif. Nous avons notamment puisé dans les archives sonores du Musée Guimet pour créer notre bande originale. Il y a donc un dispositif de base qui est minutieusement programmé – un processus très chronophage car il nous a fallu plus d’un an pour créer quarante minutes de performance.

Cependant, comme une partie de l’oeuvre est générée en direct par des algorithmes, nous ne pouvons jamais savoir à l’avance à quoi elle va ressembler. En fonction de l’intensité sonore que nous diffusons, les formes ne sont jamais les mêmes. L’image se modifie en temps réel.

En définitive, ce qui me plait le plus, c’est ce dialogue entre les performeurs, l’oeuvre et le spectateur. C’est finalement comme un « bœuf » en jazz : on pose des bases esthétiques avec les musiciens et on improvise.

Extrait de Orphism, la dernière création du collectif TRDLX dont fait partie Sébastien Palluel 

Dans cette interaction en direct avec le public et votre application, qu’est ce qui vous interpelle ?

Les logiciels permettent de créer une forme de poésie nouvelle. Ce sont des nombres et des variables que l’on manipule. Des données que l’on affine et qui permettent de rendre l’image digeste et parfois incroyablement esthétique. On ne sait jamais ce qui va arriver de façon précise. J’aime comparer ce processus artistique à la théorie du chaos qui régit la nature. En art génératif aussi, l’harmonie vient du chaos, on se laisse surprendre par des hasards plastiques, rien n’est linéaire.

Et, paradoxalement, utiliser cet outil pour créer une oeuvre d’art permet aussi de se libérer de certaines angoisses liées à la technologie.

Quelles angoisses ?

Vous savez, on dit souvent que ce sont ceux qui sont les mieux formés en matière de nouvelles technologie qui sont les plus inquiets ! J’ai la sensation de vivre une période où tout va si vite en terme d’avancées technologiques : le transhumanisme, l’intelligence artificielle, le flux continu d’information éparses… On a parfois l’impression que l’humain ne pourra plus suivre ce cycle du progrès.

En utilisant des logiciels pour créer un espace de méditation et de contemplation, un instant où le temps s’arrête, j’aime à penser que c’est un processus cathartique, quelque chose de curatif.

On ne peut pas aller contre la technologie mais on peut l’utiliser pour transcender les peurs qu’elle génère.

Vibration, performance proposée à l’auditorium du Musée Guimet, le samedi 12 mai à 16h30, 6 place d’Iéna, 75116 Paris. 

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« Les femmes artistes disparaissent progressivement du métier après la sortie de l’école »

Aline César, présidente H/F Île-de-France (Ariane Mestre)

Le constat est sans appel. Alors que les étudiantes du spectacle vivant sont plus nombreuses que les étudiants selon l’Observatoire 2016 de l’égalité entre hommes et femmes dans la culture et la communication, le milieu demeure très majoritairement masculin lorsqu’il s’agit d’occuper des postes à responsabilité, aussi bien sur le plan artistique qu’en termes de production.

La SACD dans sa brochure 2012-2017 « Où sont les femmes, toujours pas là », recensait 1% de compositrices, 27% de metteuses en scène et 37% de chorégraphes. Du côté de la direction, le bilan n’est guère plus concluant avec 11% de directrices de Maisons d’Opéra, 28% de directrices de scènes nationales et aucune femme à la tête de théâtres nationaux depuis 2014.

Pour lutter contre cette progressive « évaporation » des femmes dans la culture, le mouvement H/F – pour l’égalité femme/homme dans l’art et la culture – se mobilise et attaque le problème à la racine. Si les femmes disparaissent une fois entrées dans la vie professionnelle, les écoles et universités ont, elles aussi, un rôle à jouer. Une enquête a été rendue publique fin 2016 pour étudier les trajectoires professionnelles des artistes femmes en art dramatique. Le mouvement mène également des actions de sensibilisation dans les écoles, auprès des étudiants et des équipes pédagogiques. Entretien avec Aline César, autrice, metteuse en scène et présidente d’H/F Île-de-France. 

(infographie : SACD, brochure Où sont les femmes ? Bilan 2012 – 2017)

Comment expliquer la « disparition » des femmes dans le spectacle vivant, alors qu’elles sont plus nombreuses que les hommes à faire des études artistiques ? Il y a-t-il un phénomène d’autocensure lors des études ?

Je n’aime pas trop parler d’autocensure car on a la sensation que c’est la faute des filles. Je ne crois pas que ce soit le cas pour le spectacle vivant, du moins à l’école. Je vois plein de filles qui se lancent dans la direction artistique, le portage de projet… Elles ont autant de culot, d’envie et de courage que les garçons. L’école est un cocon, et on n’est pas encore dans ces problématiques-là.

Cependant, il y a un premier écrémage des talents féminins lors des concours d’entrée dans les écoles supérieures. Dans le cas du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris (CNSAD), 2/3 des candidats sont des femmes alors que le recrutement est strictement paritaire.
Mais c’est au moment de l’entrée dans le métier que les divergences vont apparaitre et que des barrières se mettent en place.

Quelles sont les causes de ces divergences de carrière?

Dans le cadre de notre enquête sur les trajectoires professionnelles des artistes femmes en art dramatique, l’anthropologue Raphaëlle Doyon a mis au jour un double phénomène d’évaporation des femmes. Elle a interrogé des diplômés à la sortie de l’école, puis cinq ans après, puis au moment de la confirmation professionnelle, dix ans après.

Elle a constaté que les femmes metteuses en scène, autrices, dramaturges ou comédiennes disparaissent petit à petit ou ne réussissent pas leur entrée dans le métier ou vont plus facilement se reconvertir. La majorité des sortants de l’intermittence sont plutôt des femmes. Dans le cas des comédiennes, c’est lorsque les dispositifs d’insertion professionnelle des écoles prennent fin qu’on constate une différence flagrante. Elles ont moins de projets, moins de rôles et moins de réseau que les hommes.

Passé 35 ans, c’est la plus forte évaporation. A ces âges, se posent bien évidemment les questions de la concurrence accrue, de la précarité, de la conciliation avec la vie de famille… Et les femmes en pâtissent davantage que les hommes. Elles sont moins dans les réseaux, car elles ont moins intégré que les hommes qu’il faut sociabiliser et se constituer un carnet d’adresse.

(infographie : SACD, brochure Où sont les femmes ? Bilan 2012 – 2017)

Quel rôle joue l’école dans ces parcours opposés entre hommes et femmes ? Les jeunes femmes souffrent-elles de préjugés ou de stéréotypes de genre lors de leurs formations artistiques ?

A travers l’enquête de Raphaelle Doyon, on constate que, dans le cas des écoles où l’on apprend l’art du jeu et de la mise en scène, il y a des assignations liées au stéréotype de genre pour les comédiennes dès le temps de la formation. La question de « l’emploi » est encore très présente en France. Le comédien ou la comédienne est soumis à cette espèce d’impératif sur ce que l’on s’imagine du rôle en terme d’âge, de physique, de corpulence. Une jeune fille un peu ronde ne jouera pas Célimène dans le Misanthrope. Elle jouera la veuve Arsinoé. Cette assignation est encore plus complexe pour les jeunes femmes de couleur. Et certains professeurs ont toujours une vision très stéréotypée.

Ensuite, l’écriture même des textes classiques a une influence pour former les actrices. Il y a moins de rôles pour les femmes, moins de possibilités. Dans le cas de Shakespeare, on recense 90 rôles féminins pour 500 rôles au total. Le recrutement des étudiants est souvent paritaire dans les écoles de théâtre pour répondre à cet impératif de répertoire. Comme le dit une personne interrogée dans l’enquête : « Il faut bien un Titus pour répondre à Bérénice !» 

Nous avons beaucoup parlé de théâtre, qu’en est-il des autres domaines du spectacle vivant ?

Dans le cas des musiques savantes, c’est un secteur catastrophique pour les femmes : 1% de compositrices et 5% de chefs d’orchestre. Il y a un énorme écart dans la pratique amateure, où les filles sont plus nombreuses, et la disparition dans le secteur professionnel. Idem pour la danse et le secteur chorégraphique. Plus on monte en visibilité et en responsabilité, plus les femmes disparaissent.

Peut-être que les jeunes femmes manquent de modèles de réussite féminine. Il n’y a pas encore de point d’entrée visible dans ces métiers. Mais les musiques savantes comme la danse sont encadrées par des diplômes, qui permettent aux femmes d’acquérir leur légitimité.

Du côté des musiques actuelles, qui ne sont pas validées par un diplômé à l’exception du jazz, le constat en encore plus terrible pour les femmes. C’est un domaine où le sexisme est omniprésent, où il faut s’auto-valider pour se lancer et bénéficier d’une cooptation souvent masculine. Les lieux de socialisation sont masculins et nocturnes, ce qui est peu sécurisant pour les jeunes femmes. On nous a rapporté des cas de harcèlement sexuel et d’agression de musiciennes dans les festivals. Il y a un vrai travail à faire, à tous les niveaux.

(infographie : SACD, brochure Où sont les femmes ? Bilan 2012 – 2017)

Face à ces constats, quel est le rôle de l’école pour changer les choses ?


Le chemin est encore long mais l’endroit essentiel est de sensibiliser les étudiants et les équipes pédagogiques. H/F intervient dans les universités et les écoles et a vocation à davantage intervenir encore.

Les jeunes hommes ne doivent pas non plus être exclus de ces problématiques, elles ne sont en aucun cas unisexes. Il faut qu’ils prennent conscience que s’ils ne se retrouvent qu’entre mecs à l’arrivée alors que les classes étaient mixtes au départ, ce n’est pas parce que leurs copines n’ont pas envie de créer ou de jouer. Pour le moment, les réactions que nous avons dans les écoles sont très intéressées et bienveillantes.

Certaines écoles essaient également de faire bouger les choses. Nous parlions de répertoire et d’emploi dans le théâtre tout à l’heure. L’École Supérieure d’Art Dramatique de Paris essaie de se libérer de cette contrainte et articule sa formation autour de « l’acteur créateur » et de nouveaux répertoires contemporains, ce qui offre davantage de possibilités aux jeunes comédiennes.

Il y a aussi un travail à faire sur la langue au sein des enseignements. Si l’on dit « autrice » ou « metteuse en scène », cela permet de faire exister les femmes au sein même de la langue française et de donner aux jeunes filles artistes leur légitimité.

Solange Te Parle : « YouTube est un grand déclencheur de possibles »

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Ina Mihalache alias Solange Te Parle (capture écran YouTube)

Quelles trajectoires le virtuel offre t-il aux jeunes artistes ? Passée par la classe libre du Cours Florent, Ina Mihalache s’est longtemps destinée à la scène. Puis, le parcours de la jeune comédienne a rencontré YouTube et elle est devenue Solange Te Parle. Elle murmure sur sa chaîne YouTube depuis plus de cinq ans de courts poèmes mis en images, réflexions percutantes et solitaires sur la féminité ou la mélancolie. Aujourd’hui étudiante au Studio national d’arts contemporains Le Fresnoy, Ina Mihalache raconte comment les réseaux sociaux lui ont permis d’inventer un parcours qui ne ressemble qu’à elle.

Quel a été votre parcours en tant qu’étudiante ?
J’ai commencé mes études au Canada, puisque je suis québécoise. J’ai d’abord fait l’équivalent d’une prépa d’art visuel puis j’ai commencé une année d’histoire de l’art à l’Université de Montréal que j’ai abandonnée après un trimestre. Je suis venue en France et j’ai intégré la classe libre du Cours Florent en tant qu’élève comédienne. Au cours de cette période, j’ai tenté le concours du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris. J’ai échoué quatre fois. Je me suis alors reconvertie comme technicienne pour la télévision. J’ai commencé à tourner des vidéos d’art jusqu’à découvrir YouTube et créer le personnage de Solange en 2011 avec lequel je m’exprime depuis.

Qu’est-ce que YouTube a changé dans votre vie artistique ?
YouTube est un grand déclencheur de possibles ! Il permet de gagner de l’indépendance et de l’autonomie. Lorsque j’étais au Cours Florent, j’étais terrifiée à l’idée de chercher un agent, de passer des castings, ce que les autres semblaient faire de bon cœur. Je me sentais submergée : nous étions trop nombreux et il n’y avait pas de place pour tous. Je n’avais pas les épaules pour affronter tout cela.
J’ai eu besoin de créer une vitrine virtuelle, que YouTube devienne un endroit de diffusion qui corresponde à ma solitude et à ma façon d’être. Ça m’a permis d’affirmer mon désir, je me suis sentie plus forte et enfin indépendante en tant qu’artiste.

Grâce à YouTube vous avez publié un livre [le deuxième Très intime (Payot) paraît le 1er février], réalisé un film, totalisez près de 250 000 abonnés… Pourquoi reprendre des études au Fresnoy ? 

J’ai eu besoin de sortir de ma zone de confort, de quitter Paris pour entamer un autre type de travail, me remettre en question. C’est vrai que, grâce à YouTube, j’ai acquis un réseau et une certaine forme de notoriété. Mais je crois surtout que j’ai besoin de prendre ces deux ans au Fresnoy pour travailler sur de nouveaux projets et m’ouvrir au monde de l’art contemporain.

« Il y a beaucoup de méfiance, on pense souvent que YouTube est un lieu forcément frivole. »

Il y a une certaine forme de mépris qui encercle encore YouTube et les réseaux sociaux. Lorsque j’ai déposé ma candidature au Fresnoy, je me suis dit : « ça passe ou ça casse ». J’avais peur d’être trop mainstream. Comme si on ne pouvait pas envisager ces carrières alors qu’elles sont aussi sérieuses que précaires. Qui sait ce que sera YouTube dans quelques années, si nous continuerons d’exister ? C’est déstabilisant et vertigineux.

Très peu d’artistes s’emparent des réseaux sociaux et, quand ils le font, leur contenu n’est pas forcément mis en valeur par les algorithmes. Il y a beaucoup de méfiance, on pense souvent que YouTube est un lieu forcément frivole. Au fond, en tant qu’artiste, j’ai juste utilisé les outils de mon époque.

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Quels conseils donneriez-vous à un jeune artiste qui souhaite utiliser les réseaux sociaux ?
Il faut chercher en quoi ce qu’on a dire est singulier et trouver des dispositifs originaux pour susciter la curiosité. Il s’agit de se rendre indispensable, d’offrir quelque chose d’unique, quelque chose qui fait du bien et que l’on a envie de partager. Car les réseaux sont avant tout une arborescence qui font que les gens partagent ce qu’ils aiment, ce qu’ils ont envie de le faire découvrir à leurs amis.

Il faut essayer de produire quelque chose de bon, de généreux, qui fait du bien, en étant dans la plus grande sincérité. C’est un travail de fourmi et un travail que l’on mène en solitaire, mais c’est aussi très gratifiant, avec de très beaux retours.