« Nous sommes des athlètes », Farrah El Dibany chanteuse à l’Académie de l’Opéra de Paris

UNE SAISON A L’ACADEMIE DE L’OPERA DE PARIS (EPISODE 1/3 – FARRAH)

@Alfheidur Gundrunsdottir

On la rencontre une première fois en février 2018, dans les méandres labyrinthiques des 14 étages de l’Opéra Bastille, à Paris. On entend d’abord sa voix mezzo-soprano qui s’échappe de la porte capitonnée d’un studio de répétition. Puis, on aperçoit une grande silhouette mince dans un jean brut, grignotée par une cascade de cheveux noirs. Pour son 29ème anniversaire, Farrah El Dibany, comme chaque jour ou presque de sa vie, chante. Debout près du piano, sous le regard attentif de sa répétitrice, elle s’envole dans les aigus. « Be careful with the crescendo, la voix doit passer au-dessus de toi » l’enjoint son enseignante. Farrah secoue la tête, ouvre grand les bras et continue, inlassablement, d’explorer les nuances subtiles du répertoire lyrique de Gustav Mahler.

Farrah El Dibany, née à Alexandrie en Egypte, est depuis deux ans intégrée à l’Académie de l’Opéra national de Paris. Ils sont ainsi 41 jeunes artistes et artisans issus de 10 corps de métier différents à bénéficier de cette immersion exceptionnelle au sein de la prestigieuse maison. Recrutée sur concours – près de 400 dossiers pour 12 places parmi les chanteurs – Farrah enchaine les récitals, les séances de coaching personnalisées et les participations aux différents événements qui rythment la saison de l’Académie.

Ce mois de mars 2018 marque d’ailleurs le spectacle de ces talents issus du monde entier. Les jeunes musiciens, chanteurs, chefs de chants, maquilleurs ou costumiers se sont mobilisés pour présenter Kurt Weill Story, du 17 au 24 mars 2018, dirigés par la metteuse en scène Mirabelle Ordinaire, académicienne en 2015-2016. L’occasion de retrouver Farrah au sortir d’une répétition, une tasse de thé entre les mains – « il faut garder la voix chaude, toujours » : 

L’Opéra

Je me demande parfois, pourquoi je fais ça. Enfin, je veux dire, pourquoi on chante des opéras. Je crois que c’est parce que c’est vivant, oui. Ca doit être ça. C’est vivant. Le sentiment d’être sur scène, de chanter, c’est tellement addictif.

L’Académie

J’ai commencé le chant lyrique à 14 ans, à Alexandrie en Egypte, avant de faire des études en Allemagne [à l’Académie de musique Hanns-Eisler de Berlin puis à l’Université des arts de Berlin NDR]. J’ai passé le concours pour entrer à l’Académie de l’Opéra de Paris en 2016. L’Académie, c’est très prestigieux, d’un très haut niveau. Et c’est moderne, aussi. C’est ça qui m’a donné envie. C’est ma deuxième année ici et je dirais que l’ambiance est très familiale. On passe tout notre temps ensemble, avec les autres artistes de l’Académie. On vient du monde entier, on se connaît tous.

Il y a aussi l’opportunité de rencontrer de grands chanteurs, des solistes incroyables qui viennent se produire à l’Opéra. Si tu as le courage, tu peux aller leur parler et leur demander de te faire travailler.

Garder sa voix

On est des athlètes. Il faut tout faire pour garder notre voix, pour la garder le plus longtemps possible. Jusque soixante ou soixante-cinq ans. C’est de l’endurance. Pour ça, j’ai des règles de vie. J’ai besoin de beaucoup de sommeil, neuf à dix heures par nuit. Je ne bois pas, je ne fume pas, je ne mange jamais épicé – ça brûle les cordes vocales. Et le pire, c’est de parler. C’est même pire que l’alcool, de parler. Il faut éviter les endroits trop bruyants, où l’on pousse la voix dans les discussions. Alors, les jours de représentation, j’essaie de parler le moins possible, comme ça, tout doucement…

Kurt Weill, Carmen et Dalida

J’adore travailler Kurt Weill. Ca se rapproche d’un répertoire que j’aime. Celui des comédies musicales. J’en ai beaucoup chanté. La Belle et la Bête, Chicago… Et puis Dalida. Dalida, vous savez, c’est mon idole. Quand elle chante, elle est tellement théâtrale, dans chacun de ses mots, dans chacun de ses gestes. Elle sait comment emmener le public avec elle sur scène. J’ai chanté « L’histoire d’un amour». Vous pouvez trouver la vidéo, sur ma chaine YouTube.

Mon rôle rêvé c’est Carmen. Je l’ai déjà chanté. Mais je voudrais l’interpréter encore et encore. Je suis en extase quand je chante ce rôle.  Carmen… Elle a cette liberté, cette façon de vivre le moment, de faire ce qu’elle veut, même dans sa mort. Est-ce que je lui ressemble ? Peut-être… En tout cas, dans tous mes rôles, j’essaie de chercher Carmen. Je pense que dans chaque femme, il y a une petite Carmen… 

Pas de selfies dans les loges

Pour se faire connaitre aujourd’hui dans le milieu, les réseaux sociaux c’est obligatoire. Il faut avoir un site, un compte Instagram… Moi, je les utilise mais uniquement de façon professionnelle. Il n’y a pas longtemps, j’ai tourné une publicité sur les toits de  l’Opéra. Ca je l’ai partagé. 

Mon compte Instagram est privé, par contre. Je n’aime pas trop la façon qu’ont certains artistes de se mettre en scène en permanence. Je ne suis pas du genre à faire des selfies dans les loges !

Habiter dans sa valise

La vie que je m’apprête à mener est une vie de voyages. Ca me va, j’adore voyager ! Il faut se préparer à vivre dans les aéroports, à habiter dans sa valise. J’aimerais bien garder Paris comme camp de base. Je me sens chez moi ici. Je n’en ai pas vraiment fini avec Paris !

Si je parle des langues étrangères à part le français et l’arabe ? Et bien l’anglais, l’allemand, l’italien, je les parle couramment. Je maîtrise aussi un peu le grec et l’espagnol. Et je chante souvent en russe.

Débuter dans la lumière

L’année prochaine, je reste à l’Académie pour une nouvelle saison. Ce sera ma dernière chance de perfectionner ma technique, de régler ce qui doit encore l’être. Je veux profiter à fond de l’Académie, il y a de beaux projets. Comme d’aller en résidence au Bolshoï à Moscou et de se produire là-bas.

En même temps, je dois commencer à chercher un agent. Un agent c’est indispensable pour faire une carrière de soliste. C’est eux qui te dirigent vers les auditions. C’est une des premières questions que l’on te pose dans le milieu de l’opéra. « Vous avez un agent ?». Il faut que ce soit quelqu’un qui ait une bonne réputation et surtout que ce soit une personne saine. C’est-à-dire une personne qui ne te force pas à chanter quand tu es malade par exemple. 

Et ensuite… Ensuite j’espère intégrer une troupe en Allemagne ou commencer une carrière de soliste, en free-lance. On verra bien ce qui se présente !

Kurt Weill Story, jusqu’au 24 mars 2018, Opéra Bastille, place de la Bastille, 75012, Paris

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Egalité femmes/hommes dans la musique actuelle : « tout passe par la formation »

La chanteuse Juliette Armanet consacrée « Album révélation » aux Victoires de la Musique 2018 (capture d’écran YouTube)

Elles s’appellent Camille, Juliette Armanet, Fishbach ou Angèle et la saison musicale 2018-2019 ne se fera pas sans elles. Cette nouvelle génération de chanteuses, âgées de 39 à 22, semble prouver que la relève de la musique actuelle se conjugue dorénavant au féminin. Pourtant, le secteur des musiques actuelles et du jazz est loin d’être des plus paritaires. A titre d’exemple, parmi les compositeurs inscrits à la Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique (SACEM) en 2015, 8% seulement étaient des compositrices. En 2016, seulement 10% des scènes de musiques actuelles étaient dirigées par des femmes tandis qu’en 2012, les enseignantes en musiques actuelles en conservatoire représentaient 13% des effectifs (et 4% dans les Conservatoire à Rayonnement Régional).

Un état de fait qui se forge dès l’apprentissage, du choix de l’instrument de musique à l’orientation professionnelle, selon Natasha Le Roux, artiste et enseignante au conservatoire de Pierrefitte-sur-Seine (93). Cette musicienne est coordonnatrice au sein du pôle Musiques Actuelles de HF Île-de-France, une association qui milite pour l’égalité entre les sexes dans la culture. Depuis 2016, HF a lancé la « saison Egalité Musiques Actuelles » afin de sensibiliser les structures franciliennes à ces questions, des salles de concert aux lieux de formation. Un seul objectif pour Natasha Le Roux : que les musiciennes de demain « trouvent du travail et vivent de leur art, à égalité avec les hommes ».  

Quel rôle l’enseignement des musiques actuelles joue dans l’inégale féminisation du secteur ?

On s’aperçoit que les musiques actuelles et le jazz sont les deux secteurs les plus discriminants parmi toutes les professions artistiques. Néanmoins, ces inégalités sont encore difficiles à mesurer du fait du faible nombre de statistiques disponibles.

On peut dire qu’il y a un vrai échec des lieux d’enseignements à mener de façon égalitaire les filles et les garçons vers ces métiers. Il faut que les structures d’enseignement privées et publiques se questionnent sur ce sujet.

Les départements de musiques actuelles dans les conservatoires sont très récents – ils sont en train d’ouvrir dans un certain nombre d’établissements. Il y a eu et il y a toujours une absence de structuration des études des musiques actuelles dans les conservatoires. Or, l’enseignement public garantit pour les musiciennes des grilles d’évaluation équitables et des processus de sélection moins arbitraires que dans le privé. Partout où il y a des diplômes, il y a plus d’égalité hommes-femmes. 

Le secteur des musiques actuelles est-il l’objet de stéréotypes qui peuvent rebuter les jeunes femmes dans leurs choix d’orientation ?

L’image que l’on se fait des musiques actuelles correspond au XXème siècle. Une esthétique, des narrations musicales et des narrations textuelles façon « sexe, drogue et rock’n roll ». Cela a été vrai dans les années 1970 où l’on développait des valeurs et des esthétiques très viriles. Aujourd’hui, les musiques actuelles ont changé, elles ne se cantonnent plus au trio « guitare, basse, batterie ». Les esthétiques se développent : on peut observer l’essor de la musique électronique et les nouvelles narrations qui se mettent en place. Mais si les esthétiques changent, la mentalité demeure figée dans cette idée de transgression virile, qui n’en est plus une aujourd’hui.

Le géographe spécialiste du genre Yves Raibaud a démontré que les activités de jeunesses qui tournent autour des musiques actuelles sont les nouveaux lieux de la construction de la virilité et de la masculinité. Que ce soient les studios de répétition, les salles de concert ou les festivals. Outre le fait qu’ils excluent les femmes, ils sont des lieux de reproduction et d’accentuation des stéréotypes de genre. Et cela se perpétue dans le monde professionnel : entre 1984 et 2016, seules 4 femmes sur 48 lauréats ont remporté la Victoire de la Musique du meilleur album.

Quel rôle peuvent alors jouer les lieux d’enseignement vers davantage d’égalité ?

Ce que l’on préconise chez HF, c’est avant tout la formation. Il faut que les structures publiques développent un enseignement des musiques actuelles opérant et attentif à une égalité de ses effectifs. Cette égalité passe aussi bien par une mixité des élèves mais aussi des enseignants. La première règle pour avoir des étudiantes en musiques actuelles, c’est d’obtenir une mixité des équipes enseignantes ! C’est important de pouvoir se projeter dans une carrière et d’avoir des modèles.

De la même façon, il faut que les lieux de formation intègrent le matrimoine dans leurs contenus pédagogiques ou même dans les visuels qui décorent les salles d’apprentissage. Quand on voit uniquement des compositeurs affichés au mur, ça n’aide pas les petites filles à se dire qu’il y a toujours eu des musiciennes et des compositrices dans l’histoire de la musique.

Enfin, en tant qu’enseignant, il faut apporter aux étudiantes un regard objectif sur le métier. Ne pas idéaliser le secteur comme le fait une émission comme The Voice qui donne l’idée que tout le monde peut réussir. Il faut que les jeunes musiciennes développent leur autonomie artistique. Qu’elles se blindent de diplômes, qu’elles maîtrisent le maximum d’instruments et qu’elles sachent composer. Il ne faut pas seulement être chanteuse, il faut pouvoir s’imposer sur le plan artistique dans le monde professionnel.

En février dernier, la chanteuse et compositrice Juliette Armanet a remporté le prix de l’album révélation aux Victoires de la Musique 2018. Est-ce justement un espoir pour toutes les nouvelles générations d’artistes et musiciennes ?

C’est le signe d’un changement pour plus de mixité. Cette année, 46 festivals de musique dans le monde viennent d’ailleurs de s’engager à une programmation paritaire et la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, vient de présenter son plan pour l’égalité femmes-hommes dans la culture. Des sanctions vont enfin tomber, ce qui fait que les maisons de disques qui ont peu de femmes dans leur catalogue vont enfin développer des carrières d’artistes femmes. Des musiciennes talentueuses il y en a toujours eu, mais pour faire carrière dans ce milieu ce qui compte c’est aussi le nombre de gens qui investissent sur votre projet et la compétence de votre entourage. C’est tout aussi déterminant.

Après, il ne faut pas que les femmes en tête d’affiche soient l’arbre qui cachent la forêt ! La parité sur un plateau, c’est aussi de voir combien de femmes sont techniciennes ou instrumentistes.

Justement, le choix de l’instrument est souvent sexué et il est rare de voir une femme à la batterie dans les concerts de musiques actuelles ou de jazz…

Cela fait partie des préconisations d’HF en faveur de l’enseignement des musiques actuelles. Les découvertes instrumentales doivent être généralisées.

Il n’y a pas d’instrument qui soit masculin ou féminin, c’est un cliché à enlever de la tête des parents. Les petites filles au piano et au violon et les petits garçons à la trompette et à la batterie ce n’est plus possible !

Désexuer les instruments dès l’éveil musical c’est garantir pour ceux qui feront le choix de la musique dans leur orientation professionnelle de travailler ensuite dans une vraie mixité. De jouer et de collaborer ensemble dans une camaraderie saine et active.

Etudiants du spectacle : cinq idées pour répéter gratuitement (ou presque)

(Club Photo Lyon2 via FLICKR)

Trouver des lieux de répétition est souvent la bête noire des étudiants du spectacle vivant. Jeunes danseurs, circassiens, musiciens ou comédiens, tous sont confrontés aux mêmes problématiques : comment répéter dans des conditions convenables lorsqu’on est entassé à cinq dans un petit studio ou que les voisins menacent d’alerter la maréchaussée à chaque mouvement d’archer un peu trop vigoureux ? De la même façon, préparer un spectacle ou un concert dans des conditions inconfortables ne prépare ni à la gestion de l’espace et du public ni à l’appréhension de l’acoustique.

L’Ecole du Spectacle a donc déniché cinq solutions pour que les artistes étudiants puissent répéter sans se ruiner.

Profitez de votre établissement

Que vous soyez une association étudiante ou tout simplement étudiant, des solutions existent pour répéter au sein de votre établissement. Si vous êtes à l’université ou en école, adressez-vous au Bureau de la vie étudiante (BVE) ou au Bureau des arts (BDA) pour réserver des locaux. En contactant les associations artistiques, il est généralement possible de bloquer des créneaux horaires pour répéter. Certains campus abritent également de véritables salles de spectacle (comme le théâtre Bernard-Marie-Koltès à l’Université de Nanterre ou le théâtre du Saulcy à l’Université de Lorraine). Idéal pour s’exercer in situ. Enfin, faites appel à la solidarité étudiante : n’hésitez pas à rejoindre des groupes dédiés sur les réseaux sociaux ou à poster sur la page de votre établissement pour partager vos bons plans. 

Faites appel aux mairies et aux associations de quartier

Si vous êtes une association loi 1901, il est possible d’entamer des démarches auprès de votre mairie pour obtenir l’accès à des salles de répétition. Des associations de quartier peuvent aussi vous prêter ou vous louer leurs locaux lorsqu’elles n’y sont pas présentes. A Paris, par exemple, la ville a mis en place la Maison des initiatives étudiantes, qui propose gracieusement des salles aux associations. Les locaux des Maisons des pratiques artistiques amateurs proposent des tarifs à partir de 2 euros l’heure. 

Pour motiver les élu.es à vous aider, proposez-leur un échange de visibilité en apposant leur logos sur vos supports de communication.

Recherchez des résidences de création

Vous voulez monter un spectacle et avez besoin d’une période continue de répétition ? De nombreux théâtres et espaces artistiques proposent ce qu’on appelle une résidence de création. Une immersion gratuite dans leurs locaux qui peut être suivi d’une « sortie de résidence », une présentation du projet aux professionnels et/ou au public. Pour postuler, il suffit de s’armer de patience et d’envoyer le dossier de création de votre projet aux lieux culturels situés dans votre région. N’hésitez pas à faire preuve d’audace et à demander directement un rendez-vous pour vous présenter et parler de votre projet.

Certains lieux sont spécialement dédiés aux résidences et proposent des tarifs raisonnables sur sélection de projets. Citons le Volapuk ou le 37e Parallèle à Tours, les studios de Virecourt aux alentours de Poitiers, la Pratique en région Centre-Val de Loire ou la Maison Maria Casarès en Charente.

Pensez au mécénat

Si vous êtes constitué en association loi 1901, vous pouvez faire appel au mécénat et demander à votre mécène de mettre à votre disposition des locaux. En échange de ce « mécénat en nature », vous pouvez, par exemple, proposer une représentation de votre spectacle ou un atelier de pratique artistique spécifique. Constituez un dossier présentant vos projets et les services artistiques que vous proposez et démarchez les entreprises autour de chez vous !

SPECIAL PARIS : quelques lieux alternatifs pour répéter à petits prix

Répéter dans la capitale peut s’avérer un véritable casse-tête pour le budget des étudiants du spectacle. Les salles de répétition classiques avoisinent en effet les 10 à 20 euros de l’heure et les espaces sont souvent saturés, sans parler de l’étroitesse des logements privés, peu propices à la répétition à domicile.

Voici une liste de lieux alternatifs qui proposent des tarifs plus abordables : La Villa Mais d’ici à Aubervilliers, le Théâtre de Verre dans le XIXe arrondissement, le Shakirail dans le XVIIIe, le Jardin d’Alice à Montreuil ou encore La Fontaine aux images à Aulnay-Sous-Bois.

Du côté du gratuit, le hall du Cent-quatre est mis à disposition des artistes, la coopérative La Génèrale propose des espaces de travail sur dossier avec possibilité de restitution publique, tandis que les occupants du Clos sauvage – espace d’activité autogéré à Aubervilliers – prêtent leur salle de travail aux jeunes artistes en échange d’une représentation.

Au Conservatoire, les musiciens-ingénieurs du son inventent l’écoute de demain

Suspendu au plafond, au-dessus du piano à queue, un imposant enchevêtrement de fils dans lesquels sont disséminés des micros, à la façon d’insectes dans une toile d’araignée. Au centre de cet insolite magma aérien, on débusque une tête en plastique coiffée d’un casque.

Un arbre de microphones monté par les étudiants du CNSMDP (Photo : Aude Pétiard)
Au CNSMDP, les futurs ingénieurs du son apprennent à travailler la matière sonore ( Photo : Gauthier Simon)

Durant trois jours, en ce mois de mai 2017, les musiciens-ingénieurs du son en troisième année au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP) se sont livrés à une session d’expérimentations visuelles et sonores. À partir du travail d’improvisation de musiciens jazz et d’une danseuse, les étudiants cherchent à faire voyager leur futur auditeur au cœur du son, au plus près des modulations des instruments. S’il est déjà possible de se promener virtuellement à 360° dans une vidéo, c’est à un véritable itinéraire auditif auquel s’attaquent les futurs professionnels.

Le son à 360°
Dans un studio improvisé, adjacent à la salle d’enregistrement, Noé Faure, 24 ans s’affaire derrière l’écran d’un ordinateur.

À l’aide de deux logiciels expérimentaux, l’un développé par les équipes du service audiovisuel du conservatoire, l’autre prêté par L’Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique (IRCAM), son équipe est chargée de « spatialiser » le son, pour obtenir un effet dit « binaural ». L’oreille de l’auditeur est stimulée de façon à ce qu’il ait la sensation de déambuler parmi les instruments pendant que la caméra se déplace. Autre technologie de pointe utilisée par les étudiants du CNSMDP, un prototype de « micro du futur ». Une drôle de boule à facette dotée de 32 micro-capsules qui balaient le champ sonore, à 360 degrés.

Un prototype de micro du futur, doté de 32 microcapsules suspendu à l’arbre de micros (Photo : Aude Pétiard)

« On cherche à modifier la matière sonore, s’enthousiasme Noé. C’est un travail sur le son qui est encore peu exploré ». Le jeune homme, qui a choisi l’option « création » pour achever sa formation au CNSMDP, tient néanmoins à temporiser la place des nouvelles technologies dans son futur métier. « Même si c’est passionnant, il faut éviter de se retrouver piégé par les outils, explique t-il. Ce qui compte c’est le résultat final : le son. Peu importe la manière dont il a été enregistré ». 

Un métier en pleine mutation
Former des « artistes et des artisans de pointe », telle est la vocation de Denis Vautrin responsable du diplôme musicien-ingénieur du son au CNSMDP. Il faut dire que le métier d’ingénieur du son est en pleine mutation face aux révolutions numériques et technologiques. « Quand le département a été créé, il y a vingt-cinq ans, tous les diplômés travaillaient pour l’industrie du disque, rappelle Denis Vautrin. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 40% à se diriger vers le studio. 40% s’orientent vers le spectacle vivant et 20% vivent du droit d’auteur pour des compositions ou des arrangements. »

Les futurs directeurs du son se doivent aussi de maîtriser la prise de vidéo (Photo : Marion Bénet)

L’industrie musicale en pleine recomposition, la complexification des technologies d’enregistrement et la diversification des supports font de l’ingénieur du son un professionnel aussi polyvalent qu’autonome, appelé à réinventer en permanence son savoir. Pour s’adapter à ces mutations inhérentes à la profession, Denis Vautrin et son équipe considèrent leurs étudiants comme des « inventeurs de leur métier ». 

 « Nous associons les élèves à la maquette pédagogiques. Nous leur donnons un maximum d’outils pour qu’ils puissent trouver leur identité » explique t-il. Car les étudiants du CNSMDP sont « des artistes avant tout : le numérique dans l’art permet de toucher des gens, de créer de l’impact, mais le plus important, c’est d’avoir quelque chose à raconter ».

Place aux femmes !
Recrutés sur concours à Bac+2 et diplômés à un niveau master, les futurs maîtres du son ont une double formation de musicien et de scientifique. Pour entrer au CNSMDP, Marion Bénet, 22 ans est passée par une classe préparatoire à horaires aménagés qui lui a permis d’alterner cours de flûte traversière et révisions mathématiques. « Un ingénieur du son, c’est quelqu’un qui cuisine le son » s’exclame la jeune femme qui souhaite se diriger vers l’enregistrement de concerts classiques à l’issue des quatre années de formation au CNSMDP.

Le saxophoniste Vincent Lê Quang et Aude Pétiard, étudiante en 3ème année au CNSMDP, lors de l’atelier d’enregistrement (Photo : Gauthier Simon)

Si elles se positionnent de plus en plus à des postes prestigieux, les femmes sont encore loin d’être majoritaires dans cette profession qui a longtemps été réputée comme « masculine ». « Lors d’un stage dans un festival, le régisseur général m’appelait « la fille ». A la fin, il m’a félicité : «  Pour une fille, tu te débrouilles bien ». Sur le coup, je ne savais pas comment réagir » confie Aude Pétiard, 22 ans, la seconde fille de la promotion.

Depuis, Aude Pétiard a appris à ne pas se laisser faire. « Il n’y a pas de raison que nous soyons considérées différemment que les hommes, affirme celle qui souhaite faire de la création sonore pour le cirque. Il ne faut pas tenir compte des remarques, et suivre son envie ! »

Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique : l’éducation citoyenne en chantant

 

Sarah Koné dirige les élèves de la Maîtrise (Crédit : Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique)

Sous le buste de Marianne, une cinquantaine d’adolescents reprend a capella « Happy » de Pharrell Williams et « Back to Black » d’Amy Winehouse. Comme tous les lundis soirs, ils ont troqué leurs cahiers et leurs manuels scolaires contre des partitions et explorent ensemble un répertoire allant des classiques de la comédie musicale aux standards du moment.

« Pour entrer dans la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique, il ne faut pas être issu d’une filière voix ou d’une autre maîtrise, explique Sarah Koné, directrice artistique et cheffe de chœur. Lors des auditions, nous ne regardons pas le dossier scolaire de l’élève. Seule la motivation compte ». Créer une formation d’excellence, consacrée aux arts de la scène lyrique et ouverte à tous, sans pré-requis ni frais de scolarité, tel est le projet que mène depuis huit ans, Sarah Koné.

« Avec le chant, ce qui est déterminant c’est l’investissement, explique la chanteuse soprano. On peut commencer à 14 ou 15 ans et rattraper le temps ».

Éducation populaire et citoyenne
Tout a commencé par un simple atelier de chant au collège François Couperin, dans le quatrième arrondissement de Paris, en 2008. Sarah Koné, qui achève sa formation en direction d’orchestre au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, choisit d’y mener son projet personnel de fin d’études. Au cœur de sa démarche, déjà, l’idée d’une éducation populaire à la musique et aux arts de la scène.

« Cet engagement est très lié à mon histoire personnelle, confie Sarah Koné. Je suis une femme dans la direction d’orchestre, ce qui est encore trop rare, et je suis métisse. C’est une réponse au métissage et à la double-culture qui m’a portée. J’ai eu beaucoup de chance et j’ai eu envie de transmettre à mon tour. » 

Les ateliers de Sarah Koné au collège François Couperin rencontrent un franc succès et, au fil des années, la scolarité des jeunes chanteurs est aménagée autour de la formation musicale.

Crédit : Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique

En mai 2016, le projet de Sarah Koné prend un nouvel envol : les « Classes Chantantes » reçoivent le label de « Maîtrise populaire de l’Opéra Comique ». Intégrée à l’Opéra Comique, la Maîtrise a ainsi pu élargir son recrutement et rassemble des élèves issus de trois académies. « Il y a une vraie mixité, affirme Sarah Koné. Le but n’était pas de créer une « maîtrise-guetto » mais de travailler le vivre ensemble par la musique. Par-delà la formation artistique, c’est une éducation citoyenne ».

Méthodes pédagogiques innovantes
Aujourd’hui, une soixantaine d’élèves de la sixième à la terminale, reçoit sept heures d’enseignement artistique aménagées sur leur temps de scolarité. Chant, danse, théâtre et claquettes sont au programme. Un cycle supérieur a été créé pour accueillir des élèves âgés de 18 à 25. Certains se dirigent ensuite vers des carrières dans le monde du spectacle. Sarah Koné suit avec une grande attention la réussite de ses élèves et « assiste à chaque conseil de classe »: le chant faisant parfois office de rempart contre le décrochage scolaire.

Crédit : Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique

Sarah Koné et son équipe de professeurs s’appuient sur des méthodes pédagogiques innovantes pour enseigner la musique à leurs élèves, qui arrivent grands débutants. La méthode du suisse Émile Jaques-Dalcroze, axée sur le corps et le mouvement, leur permet ainsi « de lire la musique en trois mois ».

À la fin de l’année les étudiants présenteront la comédie musicale Annie sur la scène nouvellement rénovée de l’Opéra Comique.

« Je souhaite tisser deux cultures, défend Sarah Koné. La culture populaire et la culture musicale. Que l’on déchiffre un livret d’opéra ou une comédie musicale, ce sont les mêmes outils que l’on apprend à maîtriser. Oui c’est populaire, et j’y tiens ! »