Aboubacar, réfugié guinéen, 17 ans : l’intégration par le théâtre

(Photo : Emilia Stéfani-Law)

« Je suis fier de raconter mon histoire sur scène. Le monde entier doit savoir comment les jeunes africains quittent leur pays pour venir en Europe ». Aboubacar Touré n’a que dix-sept ans mais sa jeune existence est déjà parsemée d’embûches et d’obstacles, de courage et de ténacité. L’adolescent guinéen, en France depuis plus d’un an et demi, a traversé comme tant d’autres la Méditerranée, à la recherche d’un avenir meilleur.

Sa folle épopée, Aboubacar la raconte avec pudeur sur les scènes lilloises, dans le cadre du projet théâtral « 2017 comme possible » mené par le metteur en scène Didier Ruiz à Lille, au mois d’avril dernier (voir notre article A la veille de la présidentielle, la jeunesse en scène au Théâtre du Nord). Aux côtés de quinze jeunes âgés de 16 à 22 ans, Aboubacar témoigne de ce que signifient pour lui la jeunesse, l’amour, la peur ou la liberté.

« Je suis libre. Libre de faire ce que veux, lance t-il au public. Je suis un homme libre. »

Aboubacar Touré (au centre) en répétition (Emilia Stéfani Law)

« La France qui accueille, la France qui est sympa »

Aboubacar n’était jamais monté sur les planches avant d’auditionner pour Didier Ruiz. Ce sont des amis français qui ont conseillé au jeune réfugié de tenter sa chance. « Quand j’en ai entendu parler, je me suis dit : « il me faut ça », se souvient le jeune homme, désormais inscrit en classe de première dans un lycée lillois.

« Le premier jour j’étais triste, je me méfiais beaucoup des autres. J’avais peur de la différence de nos cultures. Mais au fil du temps, nous avons appris à nous connaître, nous sommes devenus amis. Cela m’a montré comment me comporter ici, comment oser devant les gens. Ce projet de théâtre est une leçon pour m’adapter à un autre système

Sur scène, Aboubacar, qui est également musicien, chante, a capella. Et conte à la troisième personne, l’histoire « du petit » chassé de la maison familiale, à Conakry, capitale guinéenne. Sa périlleuse traversée des frontières vers le France, de Gao à Bamako, du Maroc à l’Espagne.

Seul sur le devant de la scène, campé sur ses deux jambes sous les projecteurs Aboubacar explique avec calme et assurance « comment les gens bougent pour l’Europe ». Sa voix ne tremble pas mais son visage s’anime lorsqu’il évoque sa découverte de la France et la sensation d’avoir enfin trouvé un refuge. Sur une feuille de papier qu’il présente au public, il a dessiné la tour Eiffel qui tend les bras « comme une maman », dit-il. « La France qui accueille, la France qui est sympa », psalmodie-t-il avec dextérité. En France, « le petit » s’est enfin senti « chez lui ».  

Le futur d’Aboubacar Traoré se dessine à présent dans l’hexagone et l’adolescent ne cache pas ses ambitions. « Je veux être un homme connu, sourit-il au sortir d’une répétition. Je veux partager mon histoire. Les gens se sacrifient pour traverser la Méditerranée, beaucoup ont perdu leur vie…. »

Et de répéter sur scène comme dans la vie ce qui semble être devenu sa doctrine, comme une ode au courage :

« persister, avoir confiance en soi, ne jamais se laisser faire. Persister pour aller loin, viser son avenir ».

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A la veille de la présidentielle, la jeunesse en scène au Théâtre du Nord

La troupe de « 2017 comme possible » ©Emilia Stéfani-Law

« J’ai peur de l’avenir et en même temps c’est beau »

« Rihanna est une personne qui a beaucoup compté dans ma vie, dans ma vie personnelle »

« Mon premier chagrin d’amour, c’est comme si tous mes organes faisaient un nœud, comme si tout se serrait en moi ».

Ils s’appellent Toinon, Maxime, Aboubacar, Léna ou Nazif. Ils sont lycéens ou étudiants à Lille et sa région. Et, les voici, debouts sur la grande scène du Théâtre du Nord, s’exerçant à rester ancrés sur leurs deux pieds, à projeter leurs voix pour dire le spectacle qu’ils ont construit et créé ensemble. Âgés de 16 à 22 ans, ces seize jeunes ont cherché à répondre à la question : « C’est quoi être adolescent, aujourd’hui ?». Leurs jeunes vies, leurs premiers grands choix, les drames qui déjà les secouent et les transformations de leurs corps en devenir comme autant de terrains d’introspection et d’improvisation.

« 2017 comme possible » c’est ainsi que s’intitule le spectacle que la troupe amateure présentera au Théâtre du Nord, au Grand Bleu et à la Maison Folie de Wazemmes, à partir du 24 avril prochain. Depuis le mois de novembre, les comédiens en herbe sont dirigés par le metteur en scène Didier Ruiz, qui mène depuis quatre ans des projets similaires dans toute la France.

« Je leur propose de se confronter à un travail dur, un travail où il faut accepter de se perdre comme de se trouver, explique Didier Ruiz. « Ce qui se passe ensuite est inimaginable, ils sont tellement beaux. Ça brille tellement en eux. Au fond, je ne fais que ça : passer un grand coup de chiffon pour que ça brille ! ».

©Emilia Stéfani-Law

« Avant de commencer ce projet, je ne me connaissais pas. J’ai appris à me confronter à mes pensées, à mes peurs. C’est comme un grand voyage » raconte Alexandre, 18 ans

Pour son « portrait musical », Alexandre a choisi de faire écouter aux spectateurs la chanson « Boys in the street » de Greg Holden. L’histoire d’un père qui ne supporte pas que son fils embrasse des garçons dans la rue. « La première fois que j’ai joué mon portrait musical devant les autres, c’était les chutes du Niagara, sourit doucement Alexandre. Tout le monde a pleuré. Ça m‘a beaucoup touché, que tous aient de la compassion pour mon histoire ».

Afin de construire leur spectacle, les adolescents ont répondu en improvisation à des questions posées par Didier Ruiz comme « Qu’est-ce que la jeunesse pour toi ? », « De quoi as-tu peur ? », « Quel est ton rêve ?». Un travail physique, mené par Toméo Vergés, leur permet « d’exprimer tout ce qui n’a pas été dit », précise le chorégraphe espagnol. Sur scène, les réponses s’enchaînent de façon chorale, aussi spontanées que fulgurantes.

« Je ne suis sûre de rien sauf d’une chose : un jour, je veux être maman »

« Sarkozy a dit que l’homme noir n’était pas entré dans l’histoire. Ce qu’il a dit, ce n’est pas normal. Je vais vous faire écouter une chanson d’Alpha Blondy qui parle de ça »

« Je ne comprends pas grand chose à la sexualité. La sexualité c’est quelque chose de trop, et moi, je ne suis pas assez »

©Emilia Stéfani-Law

 « J’avais beaucoup de clichés sur la jeunesse, à cause de ce qu’on nous montre, confie Victor, 23 ans, au sortir de la répétition. Une jeunesse qui s’abrutit devant la télé-réalité, qui ne réfléchit plus. Et en fait non, c’est pas du tout ça ! Toute cette diversité, toutes ces différences entre nous, c’est une immense richesse. La diversité c’est un cadeau, pas un poison ».

Au Théâtre du Nord, la représentation de « 2017 comme possible » aura lieu le lendemain du premier tour des élections présidentielles. Certains voteront pour la première fois. « J’y ai pensé, aux élections, dit Maxime, 21 ans, étudiant en Arts de la scène à l’Université de Lille. Nous parlons de la jeunesse, de notre relation au monde, et ça a évidemment un rapport avec la politique. J’irai voter dimanche, je considère que c’est un devoir. » Victor aussi prendra le chemin des urnes : 

« Pendant la répétition d’aujourd’hui, j’ai eu un flash. Il y a une réplique où on dit qu’on est « pas dans la merde ».  Avant je pensais à Trump pendant cette réplique, mais maintenant, on peut s’attendre au pire.

Mais, si la politique ne nous sauve pas, il y a aura toujours le théâtre ».

« 2017 comme possible », au Théâtre du Nord le 24 avril à 20h, au Grand Bleu le 26 avril à 19h, à la Maison Folie Wazemmes, le 28 avril à 20h. 

Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique : l’éducation citoyenne en chantant

 

Sarah Koné dirige les élèves de la Maîtrise (Crédit : Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique)

Sous le buste de Marianne, une cinquantaine d’adolescents reprend a capella « Happy » de Pharrell Williams et « Back to Black » d’Amy Winehouse. Comme tous les lundis soirs, ils ont troqué leurs cahiers et leurs manuels scolaires contre des partitions et explorent ensemble un répertoire allant des classiques de la comédie musicale aux standards du moment.

« Pour entrer dans la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique, il ne faut pas être issu d’une filière voix ou d’une autre maîtrise, explique Sarah Koné, directrice artistique et cheffe de chœur. Lors des auditions, nous ne regardons pas le dossier scolaire de l’élève. Seule la motivation compte ». Créer une formation d’excellence, consacrée aux arts de la scène lyrique et ouverte à tous, sans pré-requis ni frais de scolarité, tel est le projet que mène depuis huit ans, Sarah Koné.

« Avec le chant, ce qui est déterminant c’est l’investissement, explique la chanteuse soprano. On peut commencer à 14 ou 15 ans et rattraper le temps ».

Éducation populaire et citoyenne
Tout a commencé par un simple atelier de chant au collège François Couperin, dans le quatrième arrondissement de Paris, en 2008. Sarah Koné, qui achève sa formation en direction d’orchestre au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, choisit d’y mener son projet personnel de fin d’études. Au cœur de sa démarche, déjà, l’idée d’une éducation populaire à la musique et aux arts de la scène.

« Cet engagement est très lié à mon histoire personnelle, confie Sarah Koné. Je suis une femme dans la direction d’orchestre, ce qui est encore trop rare, et je suis métisse. C’est une réponse au métissage et à la double-culture qui m’a portée. J’ai eu beaucoup de chance et j’ai eu envie de transmettre à mon tour. » 

Les ateliers de Sarah Koné au collège François Couperin rencontrent un franc succès et, au fil des années, la scolarité des jeunes chanteurs est aménagée autour de la formation musicale.

Crédit : Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique

En mai 2016, le projet de Sarah Koné prend un nouvel envol : les « Classes Chantantes » reçoivent le label de « Maîtrise populaire de l’Opéra Comique ». Intégrée à l’Opéra Comique, la Maîtrise a ainsi pu élargir son recrutement et rassemble des élèves issus de trois académies. « Il y a une vraie mixité, affirme Sarah Koné. Le but n’était pas de créer une « maîtrise-guetto » mais de travailler le vivre ensemble par la musique. Par-delà la formation artistique, c’est une éducation citoyenne ».

Méthodes pédagogiques innovantes
Aujourd’hui, une soixantaine d’élèves de la sixième à la terminale, reçoit sept heures d’enseignement artistique aménagées sur leur temps de scolarité. Chant, danse, théâtre et claquettes sont au programme. Un cycle supérieur a été créé pour accueillir des élèves âgés de 18 à 25. Certains se dirigent ensuite vers des carrières dans le monde du spectacle. Sarah Koné suit avec une grande attention la réussite de ses élèves et « assiste à chaque conseil de classe »: le chant faisant parfois office de rempart contre le décrochage scolaire.

Crédit : Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique

Sarah Koné et son équipe de professeurs s’appuient sur des méthodes pédagogiques innovantes pour enseigner la musique à leurs élèves, qui arrivent grands débutants. La méthode du suisse Émile Jaques-Dalcroze, axée sur le corps et le mouvement, leur permet ainsi « de lire la musique en trois mois ».

À la fin de l’année les étudiants présenteront la comédie musicale Annie sur la scène nouvellement rénovée de l’Opéra Comique.

« Je souhaite tisser deux cultures, défend Sarah Koné. La culture populaire et la culture musicale. Que l’on déchiffre un livret d’opéra ou une comédie musicale, ce sont les mêmes outils que l’on apprend à maîtriser. Oui c’est populaire, et j’y tiens ! »

« Les femmes artistes disparaissent progressivement du métier après la sortie de l’école »

Aline César, présidente H/F Île-de-France (Ariane Mestre)

Le constat est sans appel. Alors que les étudiantes du spectacle vivant sont plus nombreuses que les étudiants selon l’Observatoire 2016 de l’égalité entre hommes et femmes dans la culture et la communication, le milieu demeure très majoritairement masculin lorsqu’il s’agit d’occuper des postes à responsabilité, aussi bien sur le plan artistique qu’en termes de production.

La SACD dans sa brochure 2012-2017 « Où sont les femmes, toujours pas là », recensait 1% de compositrices, 27% de metteuses en scène et 37% de chorégraphes. Du côté de la direction, le bilan n’est guère plus concluant avec 11% de directrices de Maisons d’Opéra, 28% de directrices de scènes nationales et aucune femme à la tête de théâtres nationaux depuis 2014.

Pour lutter contre cette progressive « évaporation » des femmes dans la culture, le mouvement H/F – pour l’égalité femme/homme dans l’art et la culture – se mobilise et attaque le problème à la racine. Si les femmes disparaissent une fois entrées dans la vie professionnelle, les écoles et universités ont, elles aussi, un rôle à jouer. Une enquête a été rendue publique fin 2016 pour étudier les trajectoires professionnelles des artistes femmes en art dramatique. Le mouvement mène également des actions de sensibilisation dans les écoles, auprès des étudiants et des équipes pédagogiques. Entretien avec Aline César, autrice, metteuse en scène et présidente d’H/F Île-de-France. 

(infographie : SACD, brochure Où sont les femmes ? Bilan 2012 – 2017)

Comment expliquer la « disparition » des femmes dans le spectacle vivant, alors qu’elles sont plus nombreuses que les hommes à faire des études artistiques ? Il y a-t-il un phénomène d’autocensure lors des études ?

Je n’aime pas trop parler d’autocensure car on a la sensation que c’est la faute des filles. Je ne crois pas que ce soit le cas pour le spectacle vivant, du moins à l’école. Je vois plein de filles qui se lancent dans la direction artistique, le portage de projet… Elles ont autant de culot, d’envie et de courage que les garçons. L’école est un cocon, et on n’est pas encore dans ces problématiques-là.

Cependant, il y a un premier écrémage des talents féminins lors des concours d’entrée dans les écoles supérieures. Dans le cas du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris (CNSAD), 2/3 des candidats sont des femmes alors que le recrutement est strictement paritaire.
Mais c’est au moment de l’entrée dans le métier que les divergences vont apparaitre et que des barrières se mettent en place.

Quelles sont les causes de ces divergences de carrière?

Dans le cadre de notre enquête sur les trajectoires professionnelles des artistes femmes en art dramatique, l’anthropologue Raphaëlle Doyon a mis au jour un double phénomène d’évaporation des femmes. Elle a interrogé des diplômés à la sortie de l’école, puis cinq ans après, puis au moment de la confirmation professionnelle, dix ans après.

Elle a constaté que les femmes metteuses en scène, autrices, dramaturges ou comédiennes disparaissent petit à petit ou ne réussissent pas leur entrée dans le métier ou vont plus facilement se reconvertir. La majorité des sortants de l’intermittence sont plutôt des femmes. Dans le cas des comédiennes, c’est lorsque les dispositifs d’insertion professionnelle des écoles prennent fin qu’on constate une différence flagrante. Elles ont moins de projets, moins de rôles et moins de réseau que les hommes.

Passé 35 ans, c’est la plus forte évaporation. A ces âges, se posent bien évidemment les questions de la concurrence accrue, de la précarité, de la conciliation avec la vie de famille… Et les femmes en pâtissent davantage que les hommes. Elles sont moins dans les réseaux, car elles ont moins intégré que les hommes qu’il faut sociabiliser et se constituer un carnet d’adresse.

(infographie : SACD, brochure Où sont les femmes ? Bilan 2012 – 2017)

Quel rôle joue l’école dans ces parcours opposés entre hommes et femmes ? Les jeunes femmes souffrent-elles de préjugés ou de stéréotypes de genre lors de leurs formations artistiques ?

A travers l’enquête de Raphaelle Doyon, on constate que, dans le cas des écoles où l’on apprend l’art du jeu et de la mise en scène, il y a des assignations liées au stéréotype de genre pour les comédiennes dès le temps de la formation. La question de « l’emploi » est encore très présente en France. Le comédien ou la comédienne est soumis à cette espèce d’impératif sur ce que l’on s’imagine du rôle en terme d’âge, de physique, de corpulence. Une jeune fille un peu ronde ne jouera pas Célimène dans le Misanthrope. Elle jouera la veuve Arsinoé. Cette assignation est encore plus complexe pour les jeunes femmes de couleur. Et certains professeurs ont toujours une vision très stéréotypée.

Ensuite, l’écriture même des textes classiques a une influence pour former les actrices. Il y a moins de rôles pour les femmes, moins de possibilités. Dans le cas de Shakespeare, on recense 90 rôles féminins pour 500 rôles au total. Le recrutement des étudiants est souvent paritaire dans les écoles de théâtre pour répondre à cet impératif de répertoire. Comme le dit une personne interrogée dans l’enquête : « Il faut bien un Titus pour répondre à Bérénice !» 

Nous avons beaucoup parlé de théâtre, qu’en est-il des autres domaines du spectacle vivant ?

Dans le cas des musiques savantes, c’est un secteur catastrophique pour les femmes : 1% de compositrices et 5% de chefs d’orchestre. Il y a un énorme écart dans la pratique amateure, où les filles sont plus nombreuses, et la disparition dans le secteur professionnel. Idem pour la danse et le secteur chorégraphique. Plus on monte en visibilité et en responsabilité, plus les femmes disparaissent.

Peut-être que les jeunes femmes manquent de modèles de réussite féminine. Il n’y a pas encore de point d’entrée visible dans ces métiers. Mais les musiques savantes comme la danse sont encadrées par des diplômes, qui permettent aux femmes d’acquérir leur légitimité.

Du côté des musiques actuelles, qui ne sont pas validées par un diplômé à l’exception du jazz, le constat en encore plus terrible pour les femmes. C’est un domaine où le sexisme est omniprésent, où il faut s’auto-valider pour se lancer et bénéficier d’une cooptation souvent masculine. Les lieux de socialisation sont masculins et nocturnes, ce qui est peu sécurisant pour les jeunes femmes. On nous a rapporté des cas de harcèlement sexuel et d’agression de musiciennes dans les festivals. Il y a un vrai travail à faire, à tous les niveaux.

(infographie : SACD, brochure Où sont les femmes ? Bilan 2012 – 2017)

Face à ces constats, quel est le rôle de l’école pour changer les choses ?


Le chemin est encore long mais l’endroit essentiel est de sensibiliser les étudiants et les équipes pédagogiques. H/F intervient dans les universités et les écoles et a vocation à davantage intervenir encore.

Les jeunes hommes ne doivent pas non plus être exclus de ces problématiques, elles ne sont en aucun cas unisexes. Il faut qu’ils prennent conscience que s’ils ne se retrouvent qu’entre mecs à l’arrivée alors que les classes étaient mixtes au départ, ce n’est pas parce que leurs copines n’ont pas envie de créer ou de jouer. Pour le moment, les réactions que nous avons dans les écoles sont très intéressées et bienveillantes.

Certaines écoles essaient également de faire bouger les choses. Nous parlions de répertoire et d’emploi dans le théâtre tout à l’heure. L’École Supérieure d’Art Dramatique de Paris essaie de se libérer de cette contrainte et articule sa formation autour de « l’acteur créateur » et de nouveaux répertoires contemporains, ce qui offre davantage de possibilités aux jeunes comédiennes.

Il y a aussi un travail à faire sur la langue au sein des enseignements. Si l’on dit « autrice » ou « metteuse en scène », cela permet de faire exister les femmes au sein même de la langue française et de donner aux jeunes filles artistes leur légitimité.

Concours de théâtre : les conseils de la directrice du Conservatoire de Paris

Claire Lasne-Darcueil à la tête du CNSAD depuis 2013 ( Photo : Frédéric Pickering)

Ils sont 1331 candidats inscrits au premier tour du concours du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique (CNSAD) de Paris. Ils ne seront que trente, quinze garçons et quinze filles, à voir leurs noms affichés sur la liste des admis à l’issue de trois épreuves éliminatoires.

La saison des concours a débuté pour les jeunes comédiens souhaitant intégrer des écoles supérieures d’art dramatique (lire notre billet de blog « Tout savoir sur les écoles supérieures d’art dramatique »). Cette année, le premier tour du CNSAD – l’établissement qui attire le plus grand nombre de candidats – se déroulera du 5 au 17 mars.

Pour départager ces postulants âgés de 18 à 25 ans, un exercice imposé : la scène de concours. Au Conservatoire de Paris, elle ne dure jamais plus de trois minutes, au risque de se voir imposer un implacable « merci » en cas de dépassement du chronomètre.

Trente candidats par jour 

Quatre scènes sont à préparer pour le premier tour : une classique, une contemporaine, une en alexandrins et enfin un parcours libre, expression des talents du candidat. Claire Lasne-Darcueil, directrice du Conservatoire depuis 2013, a imposé une règle simple. Le candidat a le choix de la première scène qu’il souhaite passer durant l’épreuve, « ce qui lui permet de bien se concentrer », détaillait la directrice lorsque nous l’avions rencontrée l’année passée. « Le jury demande ensuite à écouter une à trois scènes supplémentaires ou pose quelques questions au candidat sur son envie d’entrer à l’école ».

Ce jury, composé de cinq professionnels du monde du spectacle, voit défiler trente personnes par jour. Trente candidats accrochés au même rêve, présentant en cent quatre-vingt secondes le fruit de plusieurs mois, parfois même d’années, de travail acharné. « Nous avons le devoir de rester frais et ouverts à toutes les propositions » affirme Claire Lasne-Darcueil. Nous votons ensuite pour les candidats admis au deuxième tour. D’ailleurs, nous sommes en général assez unanimes sur les gens que nous souhaitons revoir. Il y a des évidences

Savoir « être au présent »

Ce qui est déterminant pour le jury, selon Claire Lasne-Darcueil, ce n’est pas tant le niveau technique que la capacité à être « au présent ».

« Tout se se passe dans l’instant. Tout d’un coup, on ne voit plus quelqu’un qui fait du théâtre mais on est face à quelqu’un qui est tout simplement là. »

Un fragile équilibre entre présence scénique et gestion du stress qui induit bien évidemment des rendez-vous manqués entre les acteurs en herbe et leurs auditeurs : « Les concours sont arbitraires, il suffit de voir le nombre de candidats pour le nombre d’admis. Et il y a des gens formidables qui ratent parce qu’ils ne sont pas vraiment là au moment de leur passage. Ce qui ne remet en aucun cas en question leur potentiel ou leur valeur. » 

Concernant le choix des scènes de concours, Claire Lasne-Darcueil n’a pas de préconisations particulières mais elle apprécie lorsque les jeunes comédiens lui font « découvrir des textes ou des auteurs » : « Des scènes trop passées par les candidats peuvent appauvrir l’écoute du jury. L’année dernière, on a entendu beaucoup de Wajdi Mouawad ou de Falk Richter. »  A bon entendeur… Mais, « il n’y a pas de recette » ajoute prestement Claire Lasne-Darcueil.

Changer la place des femmes sur scène

La directrice du CNSAD a néanmoins formulé une doléance, il y a deux ans de cela, lors d’une rencontre au Théâtre de la Colline questionnant les représentations de la femme sur scène.

« J’avais remarqué qu’en concours, les jeunes filles jouaient des scènes de viol, d’agression, de dégradation. Des situations caractéristiques du répertoire classique, écrit par des hommes, où la femme est malheureusement souvent montrée comme victime. C’était un spectacle assez inquiétant. »

Et Claire Lasne-Darcueil a été entendue : « en une année, ça a changé du tout au tout, c’est tout juste si les candidates ne mettaient pas des beignes à leurs partenaires ! Plus sérieusement, elles m’ont prise au mot de façon fine et humoristique. D’ailleurs, montrer la femme comme drôle, ça c’est quelque chose qui est moins habituel ! »

Enfin, lorsqu’il s’agit de donner des conseils aux candidats qui se présenteront 2 bis rue du conservatoire dans moins d’un mois, Claire Lasne-Darcueil met l’accent sur l’envie et le travail. « Je crois que quand on a un désir profond, il faut se sentir légitime, assure t-elle. On est légitimé par la force de son désir et par son travail, c’est le meilleur cocktail. » 

« Repousser les limites » avec les jeunes comédiens de la classe égalité des chances de la MC93

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Les élèves de la Master Class 93 en pleine séance de travail à Mains d’Oeuvres à Saint-Ouen (Photo : Agathe Charnet)

Au début, Francis Tambwa ne pensait pas être pris. Pour conjurer le stress, il était allé « détente » au Conservatoire de Bobigny : survêtement Adidas rouge vif et quelques idées d’improvisations en tête. Pourtant, à la fin de la journée d’auditions, Francis Tambwa, 20 ans, a été accepté au sein de la deuxième promotion de la Master Class 93, la classe « égalité des chances » de la Maison de la culture de Seine-Saint-Denis Bobigny (MC93). Il ne revient toujours pas de cette « opportunité incroyable » : se retrouver parmi onze autres apprentis comédiens, embarqués pour une année d’ateliers et de préparation gratuite aux concours des écoles supérieures d’art dramatique.

« Je t’attendais »

Francis Tambwa se souvient parfaitement du moment où le théâtre est entré dans sa vie. En seconde, au lycée Louise Michel, à Bobigny. Il était allé voir la représentation des terminales et des premières. Menés par « Madame Vlavianou : la prof de littérature metteuse en scène et écrivain », les terminales et les premières jouaient du Victor Hugo. Un choc. Quand la représentation s’est achevée, Francis Tambwa est allé droit sur Madame Vlavianou.

« Je lui ai dit : je veux faire ça ». Elle a longtemps soutenu son regard. « Il s’est passé quelque chose de très fort, on ne se connaissait pas du tout, mais je n’oublierai jamais ce qu’elle m’a répondu ». « Je t’attendais » a dit Ismini Vlavianou.

Depuis, Francis Tambwa n’a plus lâché. Il a joué « l’avare dans l’Avare », sous la direction, bien évidemment, de Madame Vlavianou. Son bac littéraire en poche – option théâtre – il a rejoint « l’atelier des anciens », association créée par des vétérans du lycée Louise Michel. Sous leurs conseils, il s’est décidé « à tenter la Master Class 93 ».

Aujourd’hui, aux côtés de Charly, Malika et les autres, il se prépare à passer les concours du « CFA des comédiens » à Asnières-Sur-Seine ou de l’École régionale d’acteurs de Cannes. Il s’agit de répéter inlassablement « les scènes de concours», figures imposées de trois minutes et reflets du potentiel des candidats. Francis a choisi la scène d’ouverture d’Alceste dans le Misanthrope :

« Laissez-moi là, vous dis-je, et courez vous cacher ».

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Dirigés par Robert Cantarella et Nicolas Maury, les étudiants suivent au mois de janvier une Master Class autour de Victor Hugo ( Photo : Agathe Charnet)

Se battre, travailler dur, y arriver 

Marie Mahé, pour sa part, s’empare d’un texte du dramaturge ivoirien Koffi Kwahulé pour son audition au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris, au mois de mars. Et puis de Médée, de Corneille. « Comme ça, je montre plusieurs facettes de ma personnalité, explique cette jeune comédienne de 22 ans.

Marie Mahé a fait les cours Simon à Paris avant de découvrir la Master Class 93 « sur internet». « Les concours c’est tellement cher, soupire Marie Mahé. Rien que l’inscription aux auditions de la Classe Libre du cours Florent c’est 80 euros ! ». Sans parler de ceux qui font appel à des professeurs particuliers pour peaufiner leurs scènes.

La MC93 a trouvé la parade et prend en charge la plupart des frais déboursés par les étudiants de la Master Class. En parallèle à la prépa concours, plusieurs ateliers sont également proposés tout au long de l’année sous la direction de metteurs en scène professionnels.

Une formule qui fait mouche, l’année dernière cinq élèves de la Master Class ont intégré des grandes écoles. Une immense fierté pour Marie Mahé : 

« Quand on voit les anciens, on se dit qu’il y a une justice, que si on se bat et qu’on travaille dur, on y arrive. Avant je pensais que je ne pouvais pas m’insérer : je n’avais plus de sous, je connaissais personne, je ne savais pas à quelle porte frapper. En fait, je ne savais même pas qu’il y en avait, des portes ! Avec la MC 93, on nous donne les armes pour repousser les limites. »

Egalité des chances 

La question de l’égalité des chances, Marie Mahé et Francis Tambwa y ont beaucoup réfléchi. « Vu l’étendue du déséquilibre, explique Marie Mahé, il faut en passer par là pour rééquilibrer la balance ». Francis Tambwa ajoute :

« La diversité ce n’est pas qu’une question de couleur de peau ou d’argent. C’est donner une chance à tout le monde. Il y a des gens qui ont les moyens mais qui ne savent pas que tout ça existe. 

Moi, grâce au théâtre, je me suis complètement ouvert à la culture. Devenir acteur n’est pas un choix facile, mes parents ne savent pas que je suis à la prépa. Mais à la MC93, on nous donne l’opportunité d’intégrer le milieu du théâtre au plus haut niveau et c’est une passerelle vers d’autres milieux auxquels on n’avait pas accès ».

Avec de jeunes amis artistes, Francis Tambwa a d’ailleurs fondé FAMVK events, une association qui promeut la culture et la pratique artiste auprès des jeunes de Bobigny. Une façon de transmettre à son tour ce qui lui a été donné : 

« Quand je suis arrivé au Conservatoire de Bobigny, je me suis rendu compte qu’on était que trois noirs à se présenter aux auditions. Les autres candidats ne ressemblaient pas aux gens qu’on voit dans la rue, ici. Avec l’association, on essaie, à notre niveau, de faire bouger les choses ».  

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Les étudiants de la Master Class 93 travaillent sous la direction de Robert Cantarella et Nicolas Maury (Photo : Agathe Charnet)

Pour connaître les dates et les modalités des concours, lire notre billet de blog : tout savoir sur les écoles supérieures d’art dramatique