Au Conservatoire, les musiciens-ingénieurs du son inventent l’écoute de demain

Suspendu au plafond, au-dessus du piano à queue, un imposant enchevêtrement de fils dans lesquels sont disséminés des micros, à la façon d’insectes dans une toile d’araignée. Au centre de cet insolite magma aérien, on débusque une tête en plastique coiffée d’un casque.

Un arbre de microphones monté par les étudiants du CNSMDP (Photo : Aude Pétiard)
Au CNSMDP, les futurs ingénieurs du son apprennent à travailler la matière sonore ( Photo : Gauthier Simon)

Durant trois jours, en ce mois de mai 2017, les musiciens-ingénieurs du son en troisième année au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP) se sont livrés à une session d’expérimentations visuelles et sonores. À partir du travail d’improvisation de musiciens jazz et d’une danseuse, les étudiants cherchent à faire voyager leur futur auditeur au cœur du son, au plus près des modulations des instruments. S’il est déjà possible de se promener virtuellement à 360° dans une vidéo, c’est à un véritable itinéraire auditif auquel s’attaquent les futurs professionnels.

Le son à 360°
Dans un studio improvisé, adjacent à la salle d’enregistrement, Noé Faure, 24 ans s’affaire derrière l’écran d’un ordinateur.

À l’aide de deux logiciels expérimentaux, l’un développé par les équipes du service audiovisuel du conservatoire, l’autre prêté par L’Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique (IRCAM), son équipe est chargée de « spatialiser » le son, pour obtenir un effet dit « binaural ». L’oreille de l’auditeur est stimulée de façon à ce qu’il ait la sensation de déambuler parmi les instruments pendant que la caméra se déplace. Autre technologie de pointe utilisée par les étudiants du CNSMDP, un prototype de « micro du futur ». Une drôle de boule à facette dotée de 32 micro-capsules qui balaient le champ sonore, à 360 degrés.

Un prototype de micro du futur, doté de 32 microcapsules suspendu à l’arbre de micros (Photo : Aude Pétiard)

« On cherche à modifier la matière sonore, s’enthousiasme Noé. C’est un travail sur le son qui est encore peu exploré ». Le jeune homme, qui a choisi l’option « création » pour achever sa formation au CNSMDP, tient néanmoins à temporiser la place des nouvelles technologies dans son futur métier. « Même si c’est passionnant, il faut éviter de se retrouver piégé par les outils, explique t-il. Ce qui compte c’est le résultat final : le son. Peu importe la manière dont il a été enregistré ». 

Un métier en pleine mutation
Former des « artistes et des artisans de pointe », telle est la vocation de Denis Vautrin responsable du diplôme musicien-ingénieur du son au CNSMDP. Il faut dire que le métier d’ingénieur du son est en pleine mutation face aux révolutions numériques et technologiques. « Quand le département a été créé, il y a vingt-cinq ans, tous les diplômés travaillaient pour l’industrie du disque, rappelle Denis Vautrin. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 40% à se diriger vers le studio. 40% s’orientent vers le spectacle vivant et 20% vivent du droit d’auteur pour des compositions ou des arrangements. »

Les futurs directeurs du son se doivent aussi de maîtriser la prise de vidéo (Photo : Marion Bénet)

L’industrie musicale en pleine recomposition, la complexification des technologies d’enregistrement et la diversification des supports font de l’ingénieur du son un professionnel aussi polyvalent qu’autonome, appelé à réinventer en permanence son savoir. Pour s’adapter à ces mutations inhérentes à la profession, Denis Vautrin et son équipe considèrent leurs étudiants comme des « inventeurs de leur métier ». 

 « Nous associons les élèves à la maquette pédagogiques. Nous leur donnons un maximum d’outils pour qu’ils puissent trouver leur identité » explique t-il. Car les étudiants du CNSMDP sont « des artistes avant tout : le numérique dans l’art permet de toucher des gens, de créer de l’impact, mais le plus important, c’est d’avoir quelque chose à raconter ».

Place aux femmes !
Recrutés sur concours à Bac+2 et diplômés à un niveau master, les futurs maîtres du son ont une double formation de musicien et de scientifique. Pour entrer au CNSMDP, Marion Bénet, 22 ans est passée par une classe préparatoire à horaires aménagés qui lui a permis d’alterner cours de flûte traversière et révisions mathématiques. « Un ingénieur du son, c’est quelqu’un qui cuisine le son » s’exclame la jeune femme qui souhaite se diriger vers l’enregistrement de concerts classiques à l’issue des quatre années de formation au CNSMDP.

Le saxophoniste Vincent Lê Quang et Aude Pétiard, étudiante en 3ème année au CNSMDP, lors de l’atelier d’enregistrement (Photo : Gauthier Simon)

Si elles se positionnent de plus en plus à des postes prestigieux, les femmes sont encore loin d’être majoritaires dans cette profession qui a longtemps été réputée comme « masculine ». « Lors d’un stage dans un festival, le régisseur général m’appelait « la fille ». A la fin, il m’a félicité : «  Pour une fille, tu te débrouilles bien ». Sur le coup, je ne savais pas comment réagir » confie Aude Pétiard, 22 ans, la seconde fille de la promotion.

Depuis, Aude Pétiard a appris à ne pas se laisser faire. « Il n’y a pas de raison que nous soyons considérées différemment que les hommes, affirme celle qui souhaite faire de la création sonore pour le cirque. Il ne faut pas tenir compte des remarques, et suivre son envie ! »

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