À l’École de danse de l’Opéra de Paris, les petits rats « traversent les frontières »

Au répertoire du spectacle de l’Ecole de danse, The Vertiginous Thrill of Exactitude de Forsythe (©Francette Levieux OnP)

Ils se pressent en rang serré, à l’entrée des artistes du Palais Garnier. Les cheveux des adolescentes sont ramenés en chignons serrés, recouverts d’un filet, leurs jambes fines sont chaussées de confortables baskets. Sous les vestes en jean des uns et les sweats à capuches des autres, on aperçoit l’élégance d’un justaucorps. Une boite de « pansements ultra-confort » dépasse d’un sac à dos d’écolier.

En ce mois d’avril, les petits rats sont de retour à l’Opéra national de Paris pour leur spectacle annuel. Ces enfants et adolescents, dont la scolarité est rythmée par la danse, fêtent en 2017 les 40 ans des spectacles et les 30 ans de l’installation de l’école de danse de l’Opéra à Nanterre. Cette année, un programme particulièrement exigeant les attend, au croisement des cultures et des répertoires : Divertimiento No. 15 du russe George Balanchine (1956), The Vertiginous Thrill of Exactitude de l’américain William Forsythe (1996) et l’acte III de Raymonda de Rudolf Noureev (créé pour l’Opéra de Paris en 1983).

Parmi les cinquante élèves français présents à Garnier ce 3 avril, de jeunes danseurs américains, allemands ou danois. Car l’Opéra de Paris organise également « Le Gala des écoles de danse du XXIe siècle » : 29 élèves invités issus de 7 établissements à travers le monde viennent passer une semaine à Nanterre et danser un spectacle à l’Opéra. Ils viennent des plus prestigieuses écoles : The Royal Danish Ballet School au Danemark, The San Francisco Ballet School aux Etats-Unis ou l’Académie Vaganova en Russie.

« Cette année, c’est vraiment la traversée des frontières dans tous les sens du terme, explique Marius Rubio, élève à l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris.

Aussi bien sur le plan artistique – on fait un grand pas en avant dans notre apprentissage – que par ces rencontres avec des élèves du monde entier ».

Les jeunes danseuses de l’Ecole de danse interprètent le Divertimento No. 15 de Balanchine (©Francette Levieux OnP)

Une ouverture à de nouveaux horizons qui nous donne l’occasion de nous entretenir avec deux petits rats. Marius Rubio, 15 ans, et Maya Candeloro, 14 ans, nous parlent des événements exceptionnels qui font, cette année, l’ordinaire de leurs adolescences.

Dans quelques heures, vous danserez sur la scène de l’Opéra Garnier… Vous avez le trac ?

MARIUS : Avec le temps, on apprend à gérer le stress, on prend de l’assurance. Du coup, on essaye de vivre pleinement la représentation du soir, pour pouvoir prendre du plaisir et sourire. C’est très important de sourire ! Même si on rate !

MAYA : C’est pareil, je me dis que, quoi qu’il arrive, je dois essayer de m’amuser ! Si je me laisse envahir par le stress, je fais tout de suite des erreurs.

Comment arrivez-vous à gérer la danse et votre scolarité ?

MAYA : Le matin on a cours et l’après-midi, on danse de 13h30 à 18h30. C’est un rythme qu’on prend et dont on ne peut plus se passer. Vous savez, le matin on est des élèves normaux (elle rit). Les filles n’ont pas de chignon de danse, ni rien !

Cette année, je passe le brevet et c’est en même temps que notre examen de fin d’année [ qui décide si les élèves sont autorisés ou non à rester à l’Ecole de danse, ndr ]. Il va falloir rester très concentrés.

Vous vivez une jeunesse hors du commun. Comment la décririez-vous ?

MAYA : Contrairement à d’autres jeunes de notre âge, on a la chance de savoir ce qu’on veut faire plus tard, on a un but très précis. On apprend déjà un métier et on veut se nourrir le plus possible, pour aller vers notre rêve.

Je n’ai peut-être pas eu une enfance comme tout le monde, mais je crois que j’ai une enfance chanceuse, oui c’est ça, une enfance chanceuse. Vous savez, c’est magique d’être ici, à l’Opéra de Paris.

MARIUS : Quand je me sens triste, ou découragé, j’essaie de m’imaginer que je ne suis plus à l’école, que je ne vis plus tous ces moments incroyables… Et je retrouve la motivation ! Pour moi, c’est une leçon de vie d’être ici, c’est un honneur et c’est une joie.

Vous rencontrez actuellement des étudiants venus d’autres pays, c’est important pour un artiste de s’ouvrir au monde ?

MARIUS : Oui, très. Cette semaine, on a cours avec les élèves des autres écoles. On découvre leurs univers, ils s’initient à nos traditions, on apprend à se connaître. À l’école de danse, on est un peu dans une bulle, un monde fermé. Les échanges artistiques permettent de développer l’art, de l’enrichir. 

Cet été, je pars faire un stage de danse de trois semaines à Huston, aux Etats-Unis, pour découvrir de nouveaux codes, m’immerger dans un monde que je ne connais pas. Et parler anglais aussi !

Que ressentez-vous, lorsque vous dansez ?

MAYA : Quand je danse ? Quand je danse, j’oublie tous mes problèmes, je me sens heureuse, je me sens libre…

MARIUS : En ce moment, je prends de plus en plus de plaisir à être sur scène, à vivre chaque cours. J’ai l’impression de beaucoup progresser, je commence à pouvoir être un danseur.

On vit l’instant présent, on sourit et on y va.

MAYA : Et on n’a pas envie que ça s’arrête.

L’acte III du ballet Raymonda cloture le Spectacle annuel de l’Ecole (©Francette Levieux OnP)
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Elisabeth Platel de l’Opéra national de Paris : « nos élèves ont un rêve d’enfant »

Elisabeth Platel entourée de ses élèves (DAVID ELOFER/OPERA NATIONAL DE PARIS)
Elisabeth Platel, entourée de ses élèves (DAVID ELOFER/OPERA NATIONAL DE PARIS)

Chaque année depuis 1977, au début du mois de décembre, les pirouettes des « petits rats » envahissent l’Opéra Garnier à Paris. Les élèves et professeurs de l’École de danse de l’Opéra national de Paris quittent leur campus de Nanterre pour présenter sous le plafond de Chagall les savoirs et techniques acquis au cours du premier semestre. L’occasion de nous entretenir avec l’étoile Elisabeth Platel, à la tête de l’Ecole de Danse depuis 2004, sur les enjeux de la formation de ces 150 jeunes danseurs.

Que représentent les Démonstrations pour les élèves de l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris?

C’est une étape importante. C’est la première réalisation scénique de l’année et c’est pour nous le moment de dresser un bilan des quatre premiers mois de travail. Le travail en studio à l’Ecole – qui est un travail de construction et de longue haleine – prend toute sa valeur lorsqu’il est effectué sur scène. Les élèves doivent faire avec les lumières, le trac, la pente [le sol du Palais Garnier est légèrement incliné NDR]. Contrairement à la classe, où ils sont habitués à faire et refaire, ils n’exécutent qu’une seule fois le mouvement, ils n’ont plus le droit à l’erreur.

Les danseuses de sixième division sur la scène du Palais Garnier en décembre 2016 (SVETLANA LOBOFF/OPERA NATIONAL DE PARIS)
Les élèves de 5ème et 6ème division sur la scène du Palais Garnier (SVETLANA LOBOFF/OPERA NATIONAL DE PARIS)

Cela va aussi nous permettre de voir si l’enfant va être transcendé par la scène ou, au contraire, s’il va être totalement tétanisé. Les Démonstrations sont donc une sorte de thermomètre, mais rien n’est jamais acquis ou établi définitivement. C’est une étape et on ne fait que passer des étapes dans notre métier.

Justement, la vie d’un danseur semble jalonnée de concours: l’entrée à l’Ecole de Danse, le recrutement dans le corps de Ballet, le concours interne tous les ans pour monter en grade dans la compagnie…Comment préparez-vous vos jeunes élèves à les affronter ?

La vie de danseur n’est pas une vie de concours. Car à l’instant où l’on se dit que c’est un concours, on accepte d’être jugé par quelqu’un d’autre. Or, le plus important c’est de se connaître soi-même. Les danseurs sont des conquérants de l’inutile dans le bon sens du terme. On va à la recherche de notre perfection, qui est elle-même impossible à atteindre.

« Les danseurs sont des conquérants de l’inutile »

Pour ce qui d’y préparer nos élèves… Et bien, ils nous voient ! On leur parle de nous et on leur explique que, même en tant que professeur, on va constamment se remettre en question. On les renforce aussi au niveau technique : plus ils sont forts et plus ils deviennent autonomes.

Vous savez, on est face à des enfants en pleine croissance, en pleine évolution à la fois physique et psychologique. Ils ont un rêve d’enfant, et l’enjeu, à l’école, c’est de savoir s’ils vont garder ce rêve. A quatorze ou quinze ans, certains s’aperçoivent que la réalité n’est pas forcément drôle, qu’être danseur ce n’est pas juste avoir une couronne et un tutu. 

Vous parliez de la technique, qu’est-ce qui caractérise l’enseignement que reçoivent vos élèves ?

Je pense que c’est ce fameux mot, le style. Nous, les danseurs français, sommes à la fois cartésiens et latins. C’est un certain raffinement, une clarté, une technique très ciselée… Les Démonstrations sont aussi en cela une vitrine de notre enseignement. Nous maintenons nos traditions par des exercices anciens, comme les gammes pour un musicien. Et ce sont des exercices que nous avons nous-même pratiqués. Car tous les professeurs sont passés à un moment où un autre par l’Ecole de danse et ont intégré la compagnie de l’Opéra de Paris. Même si nous avons des âges différents, nous sommes de la même famille artistique.

A l’Opéra national de Paris, les petits rats cultivent le style français (SVETLANA LOBOFF/OPERA NATIONAL DE PARIS)
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Classe de première division de Jacques Namont en représentation au Palais Garnier (SVETLANA LOBOFF/OPERA NATIONAL DE PARIS)

Et comment l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris, héritière des traditions que vous décrivez, se positionne face à la globalisation des échanges artistiques ?

Il arrive souvent que des élèves viennent de l’étranger, qu’ils aient commencé leur formation dans d’autres pays. Nous leur expliquons que ce qu’ils y ont appris est très bien, mais qu’il va falloir désormais travailler de façon légèrement différente.

Au mois d’avril, nous organisons de nouveau à l’Opéra de Paris « Le Gala des écoles de danse du XXIème siècle » avec des écoles américaines, canadiennes, danoises, anglaises… Tous ont leurs particularités et ce sont des échanges très intéressants. Nous faisons face à cette mondialisation de l’art, à cette mondialisation des enseignements, à YouTube qui nous permet de visionner des milliers de films auxquels nous n’avions pas accès à mon époque. Nous en avons discuté entre directeurs d’école et nous nous sommes dit que si cette connaissance mutuelle est nécessaire, le plus important c’est que chacun « garde son accent ». On a tous notre identité.

Est-ce que l’utilisation de la vidéo, via YouTube par exemple, peut transformer l’apprentissage des jeunes danseurs de l’Ecole, pour mémoriser les variations par exemple ?

A l’Ecole de Danse, nous cultivons énormément notre mémoire. Elle est à la fois sélective et elle transforme les choses. Un de mes professeurs  m’expliquait, par exemple, que la façon dont j’avais modifié un de ses exercices était la plus « vraie » puisque ça avait été ma manière de le recevoir puis de le transmettre à mon tour.

Les élèves de première division au Palais Garnier (SVETLANA LOBOFF/OPERA NATIONAL DE PARIS)

En classe, on peut demander à un élève de réviser une chorégraphie en regardant un film mais ce n’est pas la base de notre enseignement et ce n’est pas comme cela qu’un élève apprendra un ballet. Pour nous, la vidéo est un outil mais elle n’est en rien primordiale.

En effet, nous transmettons une mémoire vivante alors que la mémoire de l’image est plate, stérile. Un écran ne vous transmettra pas l’émotion alors qu’une rencontre avec un professeur vous donnera l’âme d’un pas ou d’une variation. Avec les films, on va seulement chercher à copier. Je suis beaucoup plus pour l’apprentissage par la sensation dans le corps. Car c’est ainsi qu’on devient libre.

Spectacle de l’Ecole de danse, du 31 mars au 4 avril 2017 au Palais Garnier, Gala des écoles de danse du XXIème siècle, le 07 avril 2017 au Palais Garnier.