Dans les coulisses d’un concours d’entrée au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris

La salle d’audition Maurice Fleuret, prête à accueillir les candidats au concours d’entrée en troisième cycle (Agathe Charnet)

« – Je voudrais étudier ici, au Conservatoire de Paris, pendant deux ans, pour enfin arriver à lire correctement les notations des partitions contemporaines.

– Arrivé à un niveau tel que le vôtre, on est tout à fait en mesure d’être autodidacte. Avez-vous essayé de travailler seule à la compréhension de ces notations ? 

–  Seule ou avec des amis, j’ai essayé de déchiffrer mais ce n’est pas suffisant. J’ai besoin d’apprendre de façon plus précise. Je veux pouvoir tout jouer, le classique comme le contemporain ».

Face au jury attentif, une violoniste coréenne défend son projet avec âme, dans un français hésitant. Après avoir interprété durant une vingtaine de minutes des oeuvres de Pierre Boulez et Arnold Schoenberg, il s’agit en ce mercredi 20 septembre, de prouver qu’elle mérite sa place au sein du très sélectif troisième cycle du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP).

Un concours de « haut niveau »

Du 18 au 28 septembre 2017, une soixantaine de candidats sont auditionnés publiquement dans la vaste salle Maurice Fleuret du Conservatoire. L’élégance fragile des sonates de Debussy laisse place à des interprétations jazz sur des standards de la musique roumaine ou à la vivacité du chant lyrique contemporain, a capella. Qu’ils soient pianistes, chanteurs ou violonistes, issus de formations françaises ou internationales, tous ont pour but d’intégrer le Diplôme d’Artiste Interprète (DAI) ou de poursuivre leur cursus en doctorat d’interprète de la musique au Conservatoire. Au total, moins d’une vingtaine d’artistes seront retenus pour cette prestigieuse poursuite d’études.

« Nous sommes face à des musiciens de haut niveau, aussi bien dans la technique que dans l’interprétation, à quelques rares exceptions près, constate la présidente du jury, la compositrice de musique contemporaine Graciane Finzi, qui a enseigné plus de trente ans au CNSMDP. Cela va être un véritable casse-tête de les départager, à l’issue du concours ». 

Pour prétendre à une entrée en troisième cycle, les candidats doivent en effet attester d’un niveau master ou d’un diplôme de second cycle. A ce stade, ce n’est plus seulement leur savoir faire qui est minutieusement scruté par les membres du jury mais bel et bien leur virtuosité, l’évidence de leur présence scénique et la pertinence de leur projet d’études au Conservatoire.

Affirmer sa personnalité artistique 

Et la diversité des profils n’est pas sans simplifier la lourde tâche du jury. En une matinée, la salle Maurice Fleuret accueille un jeune artiste italien souhaitant soutenir une thèse sur la réhabilitation technique de la viole de gambe, une violoniste japonaise avide de s’immerger dans le répertoire contemporain occidental et Raphaël Jouan, violoncelliste de 23 ans issu du CNSMDP. 

« Si je suis reçu au DAI, mon souhait est de faire découvrir des sonates de compositeurs qui ont été oubliées du grand public. Comme celles de Joseph-Guy Ropartz [1864-1955 NDR], Louis Vierne [1870-1937] ou Alexandre Tansman [1897-1986], expose le jeune homme avec enthousiasme, à la sortie de son audition instrumentale.

Raphaël Jouan et son violoncelle, quelques minutes après son audition. (Agathe Charnet)

« Je ne suis pas du genre à m’angoisser des jours à l’avance, mais j’ai senti que j’étais assez tendu physiquement pendant mon passage », analyse t-il, un brin soucieux. Sans pour autant perdre de vue son objectif d’entrée en troisième cycle : « J’aimerais notamment établir un programme de concert, documenté et interactif, en duo avec une amie pianiste ». 

 Car, dans le cadre du DAI, les étudiants ont la possibilité de suivre des cours pour perfectionner leur pratique instrumentale mais aussi d’utiliser les ressources humaines comme matérielles du CNSMDP pour mener leur projet personnel. Collaborations avec l’Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique pour des enregistrements, consultation de fonds de partitions à la Médiathèque ou mise à disposition des salles de représentation, tout est mis en oeuvre pour affirmer au plus haut niveau la personnalité artistique de ces jeunes talents. 

Sonate de Louis Vierne, compositeur que Raphaël Jouan souhaite interpréter 

« Que je sois admis ou non, j’aimerais mener de front une vie de concertiste et de pédagogue dans le futur. Je suis passionné par la transmission, conclut avec enthousiasme Raphaël Jouan avant d’aller se concentrer pour préparer son oral de motivation, qui se déroulera cette fois-ci à huis clos. Un désir de partager son savoir et sa passion qui lui faudra, pour l’heure, communiquer à son jury. 

Concours d’entrée en troisième cycle, du 18 au 28 septembre (auditions publiques, entrée libre sans réservation) au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, 209 Avenue Jean Jaurès, 75019 Paris. 

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A quoi rêvent les jeunes chefs d’orchestre ?

Cours de direction d’orchestre au Conservatoire de Paris sous la direction d’Alain Altinoglu (Photo : Ferrante Ferranti – CNSMDP)

« Attention à ta levée de poignet ! Montre davantage à l’orchestre ce que tu veux, sois plus précis ! ».

« Jordan, chante avec l’orchestre !

Il faut que tu chantes avec eux »

Les yeux d’Alain Altinoglu, chef d’orchestre et enseignant au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSM) sont rivés sur les poignets de Jordan Gudefin. D’une impulsion du bras droit ou d’un tressaillement de la main gauche, l’apprenti chef d’orchestre, baskets jaunes au pieds et chemise sombre, conduit l’interprétation de la Tragédie de Salomé, de Florent Schmitt, par une vingtaine de jeunes musiciens.

Au moins une fois par mois, les élèves de la classe de direction d’orchestre d’Alain Altinoglu s’exercent in situ, et découvrent une oeuvre du répertoire. Pour la Tragédie de Salomé, ils ont trois jours et demi de répétitions avant de se produire en public. Un temps de travail relativement long pour ces étudiants, qui viennent de France, de Russie et de Biélorussie. Les professionnels ont souvent deux jours pour se mettre au diapason avec un orchestre inconnu.

Dans la salle de concert du CNSM, la concentration est intense. Les six futurs maestros, assis sur les gradins, déchiffrent à voix haute les partitions et s’exercent inlassablement, brandissant leurs baguettes. Durant une vingtaine de minutes, ils vont se retrouver seuls face à l’orchestre des lauréats du Conservatoire, maitres du temps et de l’espace musical.

C’est l’une des dernières fois où Jordan Gudefin, originaire de Bourgogne, dirige en tant qu’élève. Dans quelques mois, il achèvera sa cinquième année au CNSM et sera propulsé dans le monde professionnel. A quoi rêvent les jeunes chefs d’orchestre ? C’est la question qui a conduit, en filigrane, notre entretien avec Jordan Gudefin. 

Jordan Gudefin, 28 ans 

Jordan Gudefin, étudiant au CNSM (Anne Bied Photographie)

J’ai passé le concours du CNSM [environ une quarantaine de candidats chaque année, pour une à trois places ndr] alors que j’étais en percussions au conservatoire de Strasbourg. Je me suis dis que si je l’avais, je serais chef d’orchestre, sinon je ferais autre chose. Cet état d’esprit correspond bien à ma personnalité. 

Au dernier tour du concours, on se retrouve face à un orchestre. J’avais alors très peu d’expérience de direction. Je ne saurai pas trop dire ce que j’ai fait, mais je crois que quelque chose s’est passé, puisque ça a marché !

Diriger

Durant ma scolarité au CNSM, j’ai beaucoup réfléchi au métier que j’apprends et à la façon de l’apprendre. Etre chef d’orchestre, ce n’est surtout pas être un dictateur. C’est être le gardien de l’homogénéité. C’est être capable de s’intégrer dans une vie de groupe, avec ses difficulté et ses atouts, pour amener les gens à être ensemble. Je n’aime pas trop ce mot de « chef » que nous utilisons en français. En italien ou en anglais on dit, littéralement, un « conducteur ». 

Lorsque vous levez un bras et que tout l’orchestre se met à jouer, c’est grisant, ce sont des sensations corporelles impressionnantes. En ce moment je ne travaille pas avec une baguette. Vous savez, si on utilise une baguette, c’est parce que les musiciens de l’orchestre nous voient de loin. La baguette permet un prolongement, une amplification du geste.

Comme on est une petite formation pour Salomé, je dirige sans baguette. J’aime expérimenter. Parfois, j’ai la sensation de toucher la matière musicale.

Être face à un orchestre c’est beaucoup de pression. ll faut être dans le pur présent, savoir quoi dire aux musiciens ou exactement quoi faire au bon moment. Je fais du sport, de la course à pied pour décompresser.

Croire en soi 

Je sors du Conservatoire dans quelques mois. J’ai déjà des pistes : je suis chef assistant à l’Orchestre Français des Jeunes et j’ai une commande à l’Orchestre de Normandie que je vais diriger. Je vais aussi préparer des concours internationaux. Les concours ce sont de gros tremplins mais c’est dangereux, on peut se brûler les ailes. 

Si j’ai le droit de rêver ? Alors devenir directeur musical : être invité à droite à gauche, toutes les deux ou trois semaines pour jouer dans un orchestre différent, voir le monde ! Et un conseil pour y arriver ? Croire en soi, « never give up ! ». Le jour où l’on s’arrête de croire en soi, c’est fini, on ne peut plus diriger.

S’engager 

Dans notre classe, nous ne sommes que des hommes en ce moment. La seule femme a dû suspendre ses études car elle ne maitrise pas assez bien le français. J’espère qu’elle va s’accrocher et revenir, elle a un talent fou.

Pour moi la direction d’orchestre n’est pas un métier masculin, je ne sais pas ce que c’est, un métier masculin. Seules les compétences comptent. L’année dernière, nous avons été dirigés par Susanna Mälkki. Je ne me suis dit à aucun moment « c’est une femme » : elle était comme n’importe quel autre des chefs d’orchestre invités, elle était compétente. 

Ce qui est très important pour moi, aussi, c’est d’aller chercher de nouveaux publics. Sinon, la musique classique meurt un peu. Je suis boursier, j’ai suivi ma scolarité gratuitement et j’ai la sensation d’avoir des responsabilités, de devoir rendre un peu de ce qu’on m’a donné. Avec des amis, nous avons fondé La Cordée, un ensemble à cordes et un ensemble vocal avec lequel nous voulons faire des concerts partout : dans les hôpitaux, les maisons de retraite, dans les écoles…

ll faut être dans le monde. C’est peut-être ça, un des nouveaux sens du métier de chef d’orchestre.