Egalité femmes/hommes dans la musique actuelle : « tout passe par la formation »

La chanteuse Juliette Armanet consacrée « Album révélation » aux Victoires de la Musique 2018 (capture d’écran YouTube)

Elles s’appellent Camille, Juliette Armanet, Fishbach ou Angèle et la saison musicale 2018-2019 ne se fera pas sans elles. Cette nouvelle génération de chanteuses, âgées de 39 à 22, semble prouver que la relève de la musique actuelle se conjugue dorénavant au féminin. Pourtant, le secteur des musiques actuelles et du jazz est loin d’être des plus paritaires. A titre d’exemple, parmi les compositeurs inscrits à la Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique (SACEM) en 2015, 8% seulement étaient des compositrices. En 2016, seulement 10% des scènes de musiques actuelles étaient dirigées par des femmes tandis qu’en 2012, les enseignantes en musiques actuelles en conservatoire représentaient 13% des effectifs (et 4% dans les Conservatoire à Rayonnement Régional).

Un état de fait qui se forge dès l’apprentissage, du choix de l’instrument de musique à l’orientation professionnelle, selon Natasha Le Roux, artiste et enseignante au conservatoire de Pierrefitte-sur-Seine (93). Cette musicienne est coordonnatrice au sein du pôle Musiques Actuelles de HF Île-de-France, une association qui milite pour l’égalité entre les sexes dans la culture. Depuis 2016, HF a lancé la « saison Egalité Musiques Actuelles » afin de sensibiliser les structures franciliennes à ces questions, des salles de concert aux lieux de formation. Un seul objectif pour Natasha Le Roux : que les musiciennes de demain « trouvent du travail et vivent de leur art, à égalité avec les hommes ».  

Quel rôle l’enseignement des musiques actuelles joue dans l’inégale féminisation du secteur ?

On s’aperçoit que les musiques actuelles et le jazz sont les deux secteurs les plus discriminants parmi toutes les professions artistiques. Néanmoins, ces inégalités sont encore difficiles à mesurer du fait du faible nombre de statistiques disponibles.

On peut dire qu’il y a un vrai échec des lieux d’enseignements à mener de façon égalitaire les filles et les garçons vers ces métiers. Il faut que les structures d’enseignement privées et publiques se questionnent sur ce sujet.

Les départements de musiques actuelles dans les conservatoires sont très récents – ils sont en train d’ouvrir dans un certain nombre d’établissements. Il y a eu et il y a toujours une absence de structuration des études des musiques actuelles dans les conservatoires. Or, l’enseignement public garantit pour les musiciennes des grilles d’évaluation équitables et des processus de sélection moins arbitraires que dans le privé. Partout où il y a des diplômes, il y a plus d’égalité hommes-femmes. 

Le secteur des musiques actuelles est-il l’objet de stéréotypes qui peuvent rebuter les jeunes femmes dans leurs choix d’orientation ?

L’image que l’on se fait des musiques actuelles correspond au XXème siècle. Une esthétique, des narrations musicales et des narrations textuelles façon « sexe, drogue et rock’n roll ». Cela a été vrai dans les années 1970 où l’on développait des valeurs et des esthétiques très viriles. Aujourd’hui, les musiques actuelles ont changé, elles ne se cantonnent plus au trio « guitare, basse, batterie ». Les esthétiques se développent : on peut observer l’essor de la musique électronique et les nouvelles narrations qui se mettent en place. Mais si les esthétiques changent, la mentalité demeure figée dans cette idée de transgression virile, qui n’en est plus une aujourd’hui.

Le géographe spécialiste du genre Yves Raibaud a démontré que les activités de jeunesses qui tournent autour des musiques actuelles sont les nouveaux lieux de la construction de la virilité et de la masculinité. Que ce soient les studios de répétition, les salles de concert ou les festivals. Outre le fait qu’ils excluent les femmes, ils sont des lieux de reproduction et d’accentuation des stéréotypes de genre. Et cela se perpétue dans le monde professionnel : entre 1984 et 2016, seules 4 femmes sur 48 lauréats ont remporté la Victoire de la Musique du meilleur album.

Quel rôle peuvent alors jouer les lieux d’enseignement vers davantage d’égalité ?

Ce que l’on préconise chez HF, c’est avant tout la formation. Il faut que les structures publiques développent un enseignement des musiques actuelles opérant et attentif à une égalité de ses effectifs. Cette égalité passe aussi bien par une mixité des élèves mais aussi des enseignants. La première règle pour avoir des étudiantes en musiques actuelles, c’est d’obtenir une mixité des équipes enseignantes ! C’est important de pouvoir se projeter dans une carrière et d’avoir des modèles.

De la même façon, il faut que les lieux de formation intègrent le matrimoine dans leurs contenus pédagogiques ou même dans les visuels qui décorent les salles d’apprentissage. Quand on voit uniquement des compositeurs affichés au mur, ça n’aide pas les petites filles à se dire qu’il y a toujours eu des musiciennes et des compositrices dans l’histoire de la musique.

Enfin, en tant qu’enseignant, il faut apporter aux étudiantes un regard objectif sur le métier. Ne pas idéaliser le secteur comme le fait une émission comme The Voice qui donne l’idée que tout le monde peut réussir. Il faut que les jeunes musiciennes développent leur autonomie artistique. Qu’elles se blindent de diplômes, qu’elles maîtrisent le maximum d’instruments et qu’elles sachent composer. Il ne faut pas seulement être chanteuse, il faut pouvoir s’imposer sur le plan artistique dans le monde professionnel.

En février dernier, la chanteuse et compositrice Juliette Armanet a remporté le prix de l’album révélation aux Victoires de la Musique 2018. Est-ce justement un espoir pour toutes les nouvelles générations d’artistes et musiciennes ?

C’est le signe d’un changement pour plus de mixité. Cette année, 46 festivals de musique dans le monde viennent d’ailleurs de s’engager à une programmation paritaire et la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, vient de présenter son plan pour l’égalité femmes-hommes dans la culture. Des sanctions vont enfin tomber, ce qui fait que les maisons de disques qui ont peu de femmes dans leur catalogue vont enfin développer des carrières d’artistes femmes. Des musiciennes talentueuses il y en a toujours eu, mais pour faire carrière dans ce milieu ce qui compte c’est aussi le nombre de gens qui investissent sur votre projet et la compétence de votre entourage. C’est tout aussi déterminant.

Après, il ne faut pas que les femmes en tête d’affiche soient l’arbre qui cachent la forêt ! La parité sur un plateau, c’est aussi de voir combien de femmes sont techniciennes ou instrumentistes.

Justement, le choix de l’instrument est souvent sexué et il est rare de voir une femme à la batterie dans les concerts de musiques actuelles ou de jazz…

Cela fait partie des préconisations d’HF en faveur de l’enseignement des musiques actuelles. Les découvertes instrumentales doivent être généralisées.

Il n’y a pas d’instrument qui soit masculin ou féminin, c’est un cliché à enlever de la tête des parents. Les petites filles au piano et au violon et les petits garçons à la trompette et à la batterie ce n’est plus possible !

Désexuer les instruments dès l’éveil musical c’est garantir pour ceux qui feront le choix de la musique dans leur orientation professionnelle de travailler ensuite dans une vraie mixité. De jouer et de collaborer ensemble dans une camaraderie saine et active.

25 commentaires sur “Egalité femmes/hommes dans la musique actuelle : « tout passe par la formation »

  1. On nage en plein délire et personne ne réagit. « Des sanctions sont prévues pour les maisons de disque qui n’ont pas assez de femmes dans leurs catalogue ». C’est quoi la prochaine étape ? Interdire la musique classique composée quasi-exclusivement par des mâles blancs ?

    Le pseudo féminisme commence à flirter ouvertement avec le totalitarisme, car enfin ce n’est pas à l’état de décider ce que les gens doivent écouter ni quels artistes les maisons disques doivent produire !!! Tout cela évoque fâcheusement l’URSS des grandes heures où il était de bon ton de liquider la « musique bourgeoise »…

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    1. Il faudrait aussi que tous les morceaux contiennent autant de blanches que de noires, pour la diversité, des rondes, pour lutter contre la grossophobie, et des croches, pour lutter contre le handicap.

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  2. Je dirige un Big Band amateur en région parisienne, et je déplore l’absence de filles parmi les musiciennes (improvisatrices) depuis près de 30 ans.
    Note que dans notre orchestre on a une « batteur » (la batteuse étant un engin agricole) une trompettiste, une flutiste, une contrebassiste et une saxophoniste, ce qui représente un tiers des effectifs! Il n’en reste pas moins que les garçons sont beaucoup plus nombreux à postuler.
    J’ai autour de moi poussé autant que je pouvais les filles comme les garçons. La musique n’a pas de sexe, mais l’inertie est trop forte.
    Selon moi, ce n’est pas le jazz qui discrimine, c’est un produit plus insidieux.
    Les filles ont beaucoup plus de mal à croire en leurs capacités que les garçons, et lorsqu’il s’agit de prendre une impro, les garçons sont plus « aptes » à prendre des risques (plus volontaires, devrais-je dire) exactement comme à l’école.
    Pour avancer dans une discipline comme l’impro, il faut oser, il faut se confronter à l’échec et remonter en selle devant les autres. Il faut prendre des risques et aimer ça. Je pense que, de façon générale, les filles s’autocensurent plus, mais que c’est un problème d’éducation. Toutes petites, on ne leur apprend pas à se lancer dans le vide en les valorisant, et ça s’en ressent lorsqu’il s’agit de jouer du jazz… Il y a aussi une valorisation de l’ego qu’on réserve plus facilement aux garçons.
    Bref, à mon sens, dire que le jazz est discriminant n’a aucun sens. La musique n’a pas de sexe. C’est la société qui éduque de façon discriminante, et l’autocensure fait le reste. C’est déplorable et je continuerai à pousser les filles à nous rejoindre dans cette aventure des musiques improvisées (et collectives) qui est une porte vers la meilleure des thérapies et des égalités de genre…

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    1. Ce que vous relatez là me parait beaucoup plus sensé que cet entretien, par ailleurs retranscrit avec force fautes et formulations obscures.

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    2. Bonjour,
      Je suis totalement d’accord avec vous. J’ajouterais même que quand vous dites « on ne leur apprend pas à se lancer dans le vide en les valorisant », c’est en-dessous de la vérité : un garçon qui se lance en se plantant un peu, on lui dira très souvent que c’est bien, alors que pour une fille, on lui montrera beaucoup plus fréquemment ses fautes. Bref, on lui demandera plus de perfection, et cela inhibe.
      Par contre, j’ai quand même l’impression que ça change un peu. Dans l’école de musique où vont mes enfants, on voit plus de filles aux saxo, à la trompette, à la batterie qu’il y a 10 ans. Et elles osent de plus en plus se lancer.

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    3. Commentaire tout à fait juste. Je fais le même constat dans le tentet (10 musiciens) dans lequel je joue du jazz depuis 20 ans : au total, seulement deux musiciennes pendant un an ! Il est regrettable que si peu de femmes suivent l’exemple de Maria Schneider, Sophie Allour, Hélène Labarrière, Ingrid Jensen ou Esperenza Spaulding.

      Dans l’autre sens, on observe que les chorales ont trop souvent du mal à recruter des hommes…

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  3. il y a un siècle, un musicien amateur pouvait peiner à jouer du Schubert au piano… aujourd’hui le même peine à aligner trois accord de punk à la guitarre. Heureusement, l’ordinateur a permis à des incapables de devenir les prophètes de notre temps en alignant des bruits, qui font passer les Beatles pour du Gustav Mahler… la propagande aidant, on a appelé cela de l’art. …Mais il y a un siècle, les « jeunes » renversaient le Tsar et révolutionnaient le monde… aujourd’hui, les « jeunes rebèles » fument des pétards en devisant sur Donald Trump et le football… Les temps changent. Tout cela est fini… maintenant, le Bitcoin et la Blockchain sont les nouveaux dieux de notre jeunesse émancipée.

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    1. Votre commentaire n’a aucun rapport avec l’article.
      Vous essayez de trouver un prétexte pour descendre la jeunesse.

      Et non, la musique faite sur ordinateur n’est pas un « alignement de bruits ». SVP renseignez vous un minimum, soyez curieux, allez visiter un studio, parlez avec des musiciens, des ingénieurs du son qui composent et produisent avec ces outils modernes. Vous avez une vision bien trop simpliste.

      Par ailleurs, je ne pense pas que vous aillez l’autorité pour juger si tel ou tel genre musical est artistique ou non, tout cela est subjectif.

      Quant au « Bitcoin et la Blockchain nouveaux dieux de notre jeunesse »…. No comment.

      Vous ne devez pas beaucoup cotoyer de « jeunes ».
      C’est vrai qu’il est plus facile de critiquer sans savoir.

      Bonne journée

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  4. Le jazz si avide de liberté devrait en effet libérer aussi les vocations des femmes … (si je dis « vive les femmes au saxophone, à la guitare, etc. ! » est-ce que c’est sexiste ?)

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  5. J’adore Camille, Jeanne Cherhal, La Grande Sophie, Benjamin Biolay ou Venassa Paradis. Je doute que ces artistes soient « blindés de diplômes ». Je trouve que cet article sonne complètement faux. Être artiste ce n’est pas attendre qu’on te donne une place, c’est la prendre, mâle ou femelle.

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  6. Comprends pas, tous les ans on nous sort une nouvelle « diva » du jazz : Norah Jones, Diana Krall, Melody Gardot, You Sun Nah, Cecile McLorin…

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    1. Comme par hasard vous ne citez que des chanteuses, et aucune instrumentiste. Il en existe pourtant (mais peu de chanteurs de jazz masculins).

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    1. La remarque est valable pour la musique dite « classique » : Betsy Jolas, Michaël Levinas, Pascal Dusapin sont-ils morts que la musique qu’ils composent n’est pas « actuelle » ?

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  7. « Le matrimoine » est le synonyme de patrimoine ou autre chose? « Heuresement les sanctions vont tomber » hummm? On sera sanctionné si on n’écoute assez pas de musiciennes? Dernière question : c’est quoi les « musiques actuelles » ?

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  8. « Le géographe spécialiste du genre Yves Raibaud a démontré que les activités de jeunesses qui tournent autour des musiques actuelles sont les nouveaux lieux de la construction de la virilité et de la masculinité. »
    Proprement hallucinant de lire ça… On se croirait dans une mauvaise thèse des années 72-73.

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  9. L ‘auteure de blog méconnait visiblement la scène du Jazz contemporain nationale et internationale.Si elle déplore le manque de femme dans les musiques actuelles (c’est quoi ?) et le jazz ( pas actuel donc ?) elles n’est pourtant capable de ne citer que quelques chanteuses oubliant nombre de labels indépendants, de scènes musicales ou les femmes sont très présentes (sur tout type d’instrument, et même à la batterie !). J’aurais aimé plus de rigueur et de curiosité de la part de l’auteure de cet article.sur ce sujet intéressant

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  10. Dans le conservatoire de ma ville , les filles sont majoritaires….alors à quel moment ça bloque ? Est-il possible simplement de dire que les femmes et les hommes en grande majorité, n’ont peut-être pas les mêmes aptitudes ou pas les mêmes intérêts ?..ou est-ce interdit de le penser ? J’ai l’impression qu’on passe son temps à pousser les filles à l’école, au conservatoire dans les entreprises, on s’épuise, ne pourrait-on pas aussi pousser les garçons à aller dans les filières très féminisées également pour équilibrer justement ? Pourquoi les garçons de s’intéressent-ils pas à la petite enfance, aux affaires familiales, à la coiffure ?…Est-ce vraiment si difficile pour une fille de s’équiper d’un logiciel de composition, de se filmer en train de jouer et de se faire connaitre sur Youtube ? Je le dis à ma fille : La passion ne connait pas d’obstacle si elle est forte. Il serait dommage en tous cas qu’on pousse dans les écoles de musique des filles sans réel talent au détriment de garçons talentueux à cause de cette folie de la « parité partout et à tous prix… » Cette dame parle de modèles féminins dans l’éducation musicale pour aider les filles….mais mon fils n’a eu que des femmes comme profs depuis la maternelle jusqu’au Lycée..et même en math……alors ?

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  11. Faites votre travail Partis politiques pour justifier votre argent ! Ça ne tourne plus du tout rond dans les caboches mégapolitaines aux idées folles qui ne coûtent même pas un euro symbolique à la République parce que aucune mégapole quelle qu’elle soit, n’est égale à la république, auxquelles j’oppose solennellement tant la vérité de l’abstention peut être solennelle, les grandes figures de la République. En toute objectivité, les inventions du train et du tramways sont des inventions très supérieures aux inventions des voitures, des fourgons, des camions, et des bus ; et remplacer les trains et les tramways construits ou pouvant être construits par des voitures, des fourgons, des camions, et des bus ; c’est construire le monde à l’envers au regard de ce que nous savons jusqu’à ce jour. Révolution mais la bonne ! Les gens en ont plus que marre des coups de tête des Faux Seigneurs Mégapolitains ! La vérité de l’Humanité d’abord, c’est la vérité de l’abstention, elle est majoritaire, démocratie réelle oblige ! L’Egalité oui, mais l’Egalité républicaine ! Le soleil doit briller pour tout le monde ! Révolution perpétuelle ! Révolution d’art ! Révolution d’or ! Chaque mot est très important.

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