
« Enseigner c’est déjà mettre en scène et mettre en scène c’est encore enseigner » aimait à dire le metteur en scène, dramaturge et écrivain Jacques Lassalle, disparu le 2 janvier 2018 à l’âge de 81 ans. Animé par le souci extrême de la transmission, Jacques Lassalle a notamment été professeur au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris, et a marqué une génération de comédiens par son érudition – il fut agrégatif de lettres modernes – et son extrême exigence. L’Ecole du Spectacle a recueilli le témoignage de trois anciens étudiants Loïc Corbery, Vincent Debost et Julie Recoing dont il fut le pédagogue au Conservatoire de Paris, à la fin des années 1990.
« Tout avait un sens »
« Jacques Lassalle a été la pierre angulaire de ma formation d’acteur, se souvient Loïc Corbery, sociétaire de la Comédie-Française. J’avais 22 ans, j’étais plein de la joie du jeu et de l’énergie de la jeunesse et il m’a appris la noblesse du métier d’acteur : servir un auteur, un texte, un public… ». « C’est la personne qui a changé ma vision du métier de comédien, abonde Vincent Debost, acteur et metteur en scène. Je suis entré au Conservatoire parce que j’avais envie de jouer et j’ai compris grâce à lui pourquoi j’en avais envie ». Sous la direction de Jacques Lassalle, les élèves-comédiens du Conservatoire expérimentent un enseignement aussi rigoureux qu’intense.
« Tout avait un sens pour lui : le choix des costumes, de l’entrée, de la sortie, raconte Vincent Debost. Je me souviens d’un de mes premiers passages au plateau devant lui, j’avais placé, un peu par hasard, ma chaise au centre de la scène. Il m’a parlé de ça durant près de quarante-cinq minutes ! Avec lui, tout faisait sens et tout devenait un choix. On ne pouvait travailler que sur les deux premières répliques et être chargé de ce travail pour aborder toute la suite de l’oeuvre. C’était passionnant ».
Docteur Jekyll et de Mister Hyde
Une minutie et un rigorisme qui ont parfois donné des frayeurs à ses jeunes élèves. « Il y avait deux hommes en lui, dit Vincent Debost. Docteur Jekyll – le pédagogue amoureux de la recherche – et Mister Hyde, qui arrivait lorsque la représentation se rapprochait et que le temps le pressait ».
« La veille des journées de juin [les traditionnelles représentations de fin d’année du Conservatoire NDR], il s’est mis dans une colère terrible en nous annonçant qu’il ne signerait pas nos journées de juin, se souvient avec amusement Julie Recoing, comédienne et metteuse en scène. Il nous a soudain demandé de quitter le théâtre et lorsque nous sommes revenus, assez inquiets, il était allongé sur deux rangées de sièges, épuisé par sa colère. Chez lui, ce n’était jamais feint, la dichotomie entre ce qu’il imaginait et ce qui se produisait réellement au plateau le rendait fou ».
« Il avait la réputation d’être un metteur en scène et un pédagogue qui pouvait être dur, mais je ne garde que des souvenirs lumineux et joyeux des cours ou des répétitions avec lui » affirme Loic Corbery. Et de se remémorer ce début d’été où Jacques Lassalle emmena durant trois semaines sa classe du Conservatoire dans le Tarn, dans le petit village de Vaour. « C’était une grande colonie de vacances théâtrales, sourit Loic Corbery. On vivait tous ensemble et on travaillait sans relâche Molière ou Shakespeare, sous le regard infatigable de Jacques ».
S’inscrire dans l’histoire du théâtre
Le souvenir de ces séances de répétition intenses habitent toujours les anciens étudiants de Jacques Lassalle. « Il avait cet amour absolu de la transmission !, s’exclame Julie Recoing. Je suis enseignante au Cours Florent et, après la disparition de Jacques, j’ai passé la moitié de mon cours à expliquer à mes élèves qui était Jacques Lassalle et ce qu’il avait représenté pour nous. Travailler avec lui, c’était s’inscrire dans une histoire du théâtre» .
Egalement pédagogue, Vincent Debost s’inspire au quotidien du travail de son maitre : « quand j’aborde un atelier théâtral, j’essaie de me documenter le plus possible, d’ouvrir le plus possible, d’inviter mes élèves à la curiosité, à la lecture. Jacques Lassalle avait cette capacité à être entouré des penseurs de théâtre, à avoir ce ton si particulier de conteur, ce don merveilleux de nous raconter Jouvet, Strehler ou Sarraute, comme s’il avait diné avec eux la veille ! »
« Jacques Lassalle fait partie de mon ADN, conclut Loïc Corbery. Le soir de sa mort, nous avons joué Le Petit-Maître Corrigé de Marivaux à la Comédie-Française, un théâtre avec lequel il a eu un rapport tellement intime. Dans une de mes intonations, j’ai mis un peu de Jacques. Nous nous sommes regardés, les larmes aux yeux, avec ma partenaire Florence Viala. Nous étions tous les deux, en scène, en pensant à lui. C’était un très beau moment. »
Retrouvez Loïc Corbery dans le Petit-Maître corrigé à la Comédie-Française, jusqu’au 12 avril 2018 – Vincent Debost dans Penser qu’on ne pense à rien, c’est déjà penser quelque chose, au Théâtre de Belleville, à Paris, jusqu’au 4 mars 2018 – Julie Recoing dans Tableau d’une exécution, au Théâtre du Rond-Point, jusqu’au 28 janvier 2018.
Le petit maître corrigé est une très belle pièce ! J’ai déjà hâte d’aller voir la diffusion dans un cinéma en juillet prochain.
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